À Schmied

 

 

Ode écrite pendant une maladie dangereuse

 

 

Mon ami Schmied, je vais mourir ; je vais rejoindre ces âmes sublimes, Pope, Adisson, le chantre d’Adam, réuni à celui qu’il a célébré, et couronné par la mère des hommes.

 

Je vais revoir notre chère Radikine, qui fut pieuse dans ses chants comme dans son cœur, et mon frère, dont la mort prématurée fit couler mes premières larmes et nous apprit qu’il y avait des douleurs sur la terre...

 

Je m’approcherai du cercle des saints anges, de ce chœur céleste où retentit sans fin l’Hosanna !

 

Ô bienfaisant espoir ! comme il me saisit, comme il agite violemment mon cœur dans ma poitrine !... Ami, mets-y ta main... J’ai vécu... et j’ai vécu, je ne le regrette point, pour toi, pour ceux qui nous sont chers, pour celui qui va me juger.

 

Oh ! j’entends déjà la voix du Dieu juste, le son de sa redoutable balance... Si mes bonnes actions pouvaient l’emporter sur mes fautes !

 

Il y a pourtant une noble pensée en qui je me confie davantage. J’ai chanté le Messie, et j’espère trouver pour moi, devant le trône de Dieu, une coupe d’or toute pleine de larmes chrétiennes !

 

Ah ! le beau temps de mes travaux poétiques ! les beaux jours que j’ai passés près de toi !... Les premiers, inépuisables de joie, de paix et de liberté ; les derniers, empreints d’une mélancolie qui eut bien aussi ses charmes.

 

Mais, dans tous les temps, je t’ai chéri plus que ma voix, que mon regard ne peuvent te l’exprimer... Sèche tes pleurs, laisse-moi mon courage ; sois un homme, et reste dans le monde pour aimer nos amis.

 

Reste pour entretenir ta sœur, après ma mort, du tendre amour qui eût fait mon bonheur ici-bas, si mes vœux eussent pu s’accomplir.

 

Ne l’attriste pas cependant du récit de ces peines inconsolées qui ont troublé mes derniers jours, et qui les ont fait écouler comme un nuage obscur et rapide.

 

Ne lui dis point combien j’ai pleuré dans ton sein... et grâces te soient rendues d’avoir eu pitié de ma tristesse et d’avoir gémi de mes chagrins !

 

Aborde-la avec un visage calme, comme le mien l’est à l’instant suprême. Dis-lui que ma mort a été douce, que je m’entretenais d’elle, que tu as entendu de ma bouche et lu dans mes yeux presque éteints ces dernières pensées de mon cœur :

 

« Adieu, sœur d’un frère chéri ! fille céleste, adieu ! Combien je t’aime ! comme ma vie s’est écoulée dans la retraite, loin du vulgaire et toute pleine de toi !

 

« Ton ami mourant te bénit ; nulle bénédiction ne s’élèvera pour toi d’un cœur aussi sincère !

 

« Puisse celui qui récompense répandre autour de toi la paix de la vertu et le bonheur de l’innocence.

 

« Que rien ne manque à l’heureuse destinée qu’annonçait ton visage riant en sortant des mains du Créateur, qui t’était encore inconnu, lorsqu’il nous réservait à tous deux un avenir si différent... À toi les plaisirs de la vie, et à moi les larmes.

 

« Mais, au milieu de toutes tes joies, compatis aux douleurs des autres et ne désapprends pas de pleurer ;

 

« Daigne accorder un souvenir à cet homme qui avait une âme élevée, et qui, si souvent, par une douleur silencieuse, osa t’avertir humblement que le ciel t’avait faite pour lui.

 

« Bientôt emporté au pied du trône de Dieu, et tout ébloui de sa gloire, j’étendrai mes bras suppliants, en lui adressant des vœux pour toi.

 

« Et alors un pressentiment de la vie future, un souffle de l’esprit divin descendra sur toi et t’inondera de délices.

 

« Tu lèveras la tête avec surprise, et tes yeux souriants se fixeront au ciel... Oh ! viens... viens m’y joindre, revêtue du voile blanc des vierges et couronnée de rayons divins ! »

 

 

Friedrich Gottlieb KLOPSTOCK.

 

Traduit de l’allemand par Gérard de Nerval.

 

 

 

 

 

 

 

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