Le cœur de l’enfant baptisé

 

 

Je ne vais pas, des mers traversant les abîmes,

Chercher aux vieux pays des ruines sublimes

Qui me disent : Ici des peuples ont été !

Où la mort des cités à nos regards vivante,

Et leurs os subsistants leur imposent stagnante

          Une ombre d’immortalité !

 

Je ne vais pas, assis sur un mont de la Grèce,

Dire : C’est là qu’était une verte jeunesse,

Cœurs à peine virils et déjà, tous héros,

Dans leurs volcans rêvant de glorieux tombeaux !

C’est là qu’ils élançaient leurs élans magnanimes,

Là que bruyait en eux ce bruit de morts sublimes,

Qu’ils travaillaient leur gloire et leurs bouillants travaux ;

          Et là qu’ils prennent leur repos !

 

C’est là que des beaux-arts scintillait l’allégresse,

Qu’ils triomphaient jadis dans leur splendide ivresse,

Pour réunir ensemble et grâce et majesté,

Et la gloire et l’amour, la force et la beauté !

C’est là que par la mort on aimait sa patrie,

Qu’elle faisait de loin retentir ses accents ;

Là qu’elle résonnait comme une âme aguerrie,

Ici qu’une seule âme animait les trois cents !

Là qu’un homme était juste, et tonna Démosthènes,

Et là qu’était Sparte, et là qu’était Athènes ;

          C’est aussi là que rien n’est plus !...

 

Mais laissant de côté ces regrets superflus.

Orgueil qui se servait sous le nom de patrie,

Grandeur là vie affreuse, ici néant plus beau,

Où l’immortalité, c’est la fin de la vie,

La gloire ouvrant ailleurs l’immortelle infamie

          N’éclaire ici-bas qu’un tombeau !

 

Je m’en viens à l’enfant qui dort en paix son âme,

Où coule doucement une paisible flamme,

Murmure intérieur, hymne naissant d’amour !

Âme divine où Dieu même fait son séjour ;

Je découvre ce cœur, j’écarte un peu ces langes

Dont l’Éden militant enveloppe ses anges,

Je joins mon sein au sein où la grâce coula,

Et sentant au toucher de la vierge poitrine

Mon âme devenir aussi vierge divine,

          Je dis : Un cœur est là !

 

Un cœur !.. Quel grand destin !.. Quel être en la nature !...

Un être dont l’amour sera la nourriture,

          Où l’amour choisit son autel !

Un être qui se fait, doit faire sa pâture

De rien moins que de Dieu ! bonheur, âme future

          Durant tout un jour immortel !

 

Et les siècles passés, au temps de leur puissance,

Au temps de leur grandeur, de leur vaste vaillance,

Tombeaux, gloire, patrie, ont-ils rien eu de tel !

          Ils sont morts ces cœurs magnanimes !

          Elle mourra leur immortalité !

Il ne restera plus de tous ces noms sublimes

Qu’un bruit avec le monde au néant emporté !

 

          Ils vivent ces morts magnanimes !

          Elle vivra leur immortalité !

Ils vivront ! – Où ? – Les éternels abîmes

Vous diront si leur sort en eux fut arrêté !

 

Mais ce cœur d’enfant vit ! Mais la grâce y ruisselle !

Mais de vivre toujours l’espérance immortelle

Se plaît à le nourrir, y ruisselle avec elle !

Sparte, Athènes, Grèce, un souffle de ce cœur

Est plus grand mille fois que toute ta grandeur !

Et tout, alors dans moi me dit : Frémis ! tressailles !

Et je sens s’émouvoir mes profondes entrailles !

Car j’ai senti dans moi bruire un cœur d’enfant !

Et de quelque grand bruit que l’océan du monde

Vienne assourdir mon finie avec sa voix immonde.

Qu’il soit bruit de patrie, et de beau dévoûment,

Bruit de gloire, d’amour, de liberté sanglante,

Tout bruit qui dans le cœur souffle une âme exaltante.

Le cœur où Dieu murmure est encor le plus grand !

 

 

 

Victor LAGRANGE,

Cinq nouvelles harmonies poétiques et religieuses,

dédiées à M. de Lamartine, 1833.

 

 

 

 

 

 

 

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