La retraite

 

 

Je sais sur la colline

Une blanche maison ;

Un rocher la domine,

Un buisson d’aubépine

Est tout son horizon.

 

Là jamais ne s’élève

Bruit qui fasse penser ;

Jusqu’à ce qu’il s’achève

On peut mener son rêve,

Et le recommencer.

 

Le clocher du village

Surmonte ce séjour ;

Sa voix, comme un hommage,

Monte au premier nuage

Que colore le jour.

 

Signal de la prière,

Elle part du saint lieu,

Appelant la première

L’enfant de la chaumière

À la maison de Dieu.

 

Aux sons que l’écho roule,

Le long des églantiers,

Vous voyez l’humble foule

Qui serpente et s’écoule

Dans les pieux sentiers :

 

C’est la pauvre orpheline,

Pour qui le jour est court,

Qui déroule et termine,

Pendant qu’elle chemine,

Son fuseau déjà lourd ;

 

C’est l’aveugle, que guide

Le mur accoutumé,

Le mendiant timide

Et dont la main dévide

Son rosaire enfumé ;

 

C’est l’enfant, qui caresse

En passant chaque fleur,

Le vieillard qui se presse :

L’enfance et la vieillesse

Sont amis du Seigneur !

 

La fenêtre est tournée

Vers le champ des tombeaux,

Où l’herbe moutonnée

Couvre, après la journée,

Le sommeil des hameaux.

 

Plus d’une fleur nuance

Ce voile du sommeil ;

Là tout fut innocence,

Là tout dit : Espérance !

Tout parle de réveil !

 

Mon œil, quand il y tombe,

Voit l’amoureux oiseau

Voler de tombe en tombe,

Ainsi que la colombe

Qui porta le rameau,

 

Ou quelque pauvre veuve,

Aux longs rayons du soir,

Sur une pierre neuve,

Signe de son épreuve,

S’agenouiller, s’asseoir,

 

Et, l’espoir sur la bouche,

Contempler, du tombeau,

Sous les cyprès qu’il touche,

Le soleil qui se couche

Pour se lever plus beau.

 

Paix et mélancolie

Veillent là près des morts,

Et l’âme, recueillie,

Des vagues de la vie

Croit y toucher les bords !

 

 

 

Alphonse de LAMARTINE.

 

Recueilli dans

Recueil gradué de poésies françaises,

par Frédéric Caumont, 1847.

 

 

 

 

 

 

 

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