L’athée

 

FRAGMENT.

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Félicité de LA MENNAIS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

... À l’écart, dans les ténèbres, une voix sinistre a été entendue ; elle semblait sortir d’un sépulcre et se briser entre des ossements : c’était comme la voix de la mort. Les peuples ont prêté l’oreille à ce bruit funèbre ; de sourds blasphèmes sont venus jusqu’à eux ; ils ont dit : C’est le cri de l’athée ! et ils ont frémi d’horreur.

Et qu’est-ce que cet athée ?

Condamné à subir tous les genres de servitude, esclave du prince des ténèbres qui l’a séduit, esclave de ses propres penchants, de ses appétits les plus vils, il descendra si bas, qu’au delà il ne verra rien ; et cependant, inquiet, tourmenté, il essaiera de descendre encore. Où va-t-il ? que veut-il ? Il cherche au-dessous du désespoir je ne sais quelle affreuse joie qui suivra son intelligence aliénée, et alors on l’entendra se dire : Il n’y a point d’autre Dieu que moi !...

... Son jugement et ses passions l’abusent de concert, l’abusent sans cesse. Il se fatigue à poursuivre des ombres ; il s’enfonce dans toutes les voies, et nulle part il ne trouve de repos. Regardez cet être déchu ; une sombre ardeur l’agite, au fond de son âme est un regret immense ; il a perdu quelque grand bien, il en a comme un souvenir confus ; et le voilà qui remue avec un travail opiniâtre les ruines de son intelligence, les ruines de son cœur. Il espère découvrir parmi ces débris la science que lui promit l’esprit du mensonge ; et il ne trouve que le doute, l’incertitude, l’erreur, les désirs dévorants qui le consument, une trompeuse image du bien, la terrible réalité du mal...

 

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

 

... En lui-même, il entend une voix qui lui dit : Tu ne dormiras plus ! Quelque chose de l’enfer le dévore intérieurement ; et comme, dans une nuit de tempête, au milieu d’une mer troublée, un feu sombre apparaît sur un vaisseau en perdition, sur le front ténébreux de ce coupable, au fond de son œil inquiet et ardent, on découvre avec effroi comme le signal d’une âme en détresse et l’annonce d’un naufrage prochain.

 

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

 

Cette foi, qu’il voûtait se persuader être impossible, le domine malgré ses efforts ; il ne peut la vaincre entièrement ; il ne peut parvenir à une incrédulité complète et tranquille : telle qu’un fantôme formidable la vérité apparaît encore dans les ténèbres de son esprit ; il ne sait pas ce qu’il a vu, mais il a vu quelque chose, et son sommeil en est troublé. Ce qu’annonçait un prophète s’accomplit en lui : Il y aura un jour connu Dieu : ce n’est pas le jour, ce n’est pas non plus la nuit. Qu’est-ce donc ? Ne serait-ce pas cette lueur incertaine qui flotte et vacille dans une intelligence affaiblie ? Ce pénible état de doute où nous voyons l’impie tomber ? Mais cet état ne saurait être long ; un jour, dit le prophète, et sur le soir la lumière se fera. Lumière effrayante, pleine d’horreur, qui se lève au bord de la tombe, pour éclairer sans fin une éternité de tourments !

 

 

 

 

M. l’abbé de LA MENNAIS.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1825.

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net