La Maison éternelle

 

 

Elle est là, la maison,

La maison de chez nous, calme parmi les saules,

Très vieille, ayant de verts cheveux sur ses épaules,

Et des yeux doux, tournés vers l’horizon.

 

Un charme étrange a rempli son visage,

Qui connut la joie et les pleurs,

Et son sourire, alourdi de douleurs,

A la sublimité de l’âge...

 

C’est là que mes ancêtres ont vécu,

Qu’ils ont souffert, qu’ils ont aimé, que la jeunesse,

Dans sa coupe d’amour leur a versé l’ivresse,

Et qu’ils se sont couchés du sommeil des vaincus...

 

Et c’est sa porte matinale,

Qui, par un matin plein de feux,

Accueillit, pour des jours nombreux,

L’épouse à l’âme virginale...

 

C’est là qu’ils ont vécu, que la main dans la main,

Simples dans le bonheur, calmes dans la souffrance,

Ils ont, le cœur nourri de divine espérance,

Suivi le même rêve et le même chemin...

 

Un soir, dans la pénombre,

La maison, prise d’une tendresse d’aïeul,

Les a vus, couverts d’un linceul,

Prendre le noir chemin de l’ombre...

 

Ont-ils, dans la chaleur

De ces lieux que la foi devine,

Ont-ils trouvé, là-bas, sur la route divine,

Une vieille maison qui ressemble à la leur... ?

 

Ont-ils, dans leur âme charnelle,

Et leur attache à la maison,

Ont-ils trouvé, sur le chemin profond,

Ont-ils trouvé, Seigneur, ta Maison éternelle...?

 

Ils se rassembleront, dans la Maison céleste,

Pour un éternel rendez-vous,

Ceux qui, du sol agreste,

Ont remué les sillons roux...

 

Les vaillants soldats de la terre,

Dont le genou s’est déchiré,

Dans la lutte âpre et solitaire,

Et dont le front fut, par les rides, labouré...

 

C’est là que le Seigneur leur garde

L’ivresse des moissons sans fin,

Qu’un soleil éternel regarde,

Où l’âme apaisera sa faim.

 

C’est là que leurs pâles prunelles,

Et que leurs regards éblouis,

Verront, sur des mers éternelles,

Rouler, dans un flot d’or, des montagnes d’épis...

 

Et que, dans les clartés superbes

D’un matin qui dure toujours,

Ils combleront, enfin, tous leurs rêves de gerbes,

Et toutes leurs soifs de labours...

 

Le Seigneur, pitoyable à leur humble prière,

Ouvrira, devant eux, ses foyers bienfaisants,

Et l’on verra passer, dans un flot de lumière,

La légion des paysans !...

 

 

 

Blanche LAMONTAGNE, août 1918.

 

Paru dans Almanach de l’Action

sociale catholique en 1919.

 

 

 

 

 

 

 

 

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