Prière pour la vieille maison

 

 

                                       I

 

Seigneur, maître des champs à l’épaisse toison,

Maître des monts, des prés et des collines saintes,

Maître des firmaments aux secrètes enceintes,

       Veillez sur la Vieille Maison !

 

       Toujours elle fut bonne,

Bonne à notre jeunesse et bonne à nos amours :

Faites qu’elle connaisse encore de beaux jours,

Et que jamais nul de ses fils ne l’abandonne !

 

Faites que de tout mal ses murs soient triomphants,

       Et que son toit, où l’âge se révèle,

Comme un vieux nid peuplé d’éclosion nouvelle

       Retentisse de voix d’enfants !

 

Qu’elle ne soit jamais la Maison condamnée,

De laquelle chacun se détourne en tremblant,

Et qui porte le poids d’un silence accablant ;

Mais que l’âme des siens lui demeure acharnée...

 

       Qu’ils aiment son séjour,

Gardent, avec orgueil, la vaillance passée,

Et donnent, fièrement, leur force et leur pensée

       À la tâche de chaque jour.

 

Afin que les aïeux qui dorment dans leur tombe,

Exilés de leur terre et de sa floraison,

Ne pouvant oublier leur rustique maison,

Y reviennent, parfois, le soir, quand la nuit tombe !...

 

 

                                      II

 

Bénissez, ô mon Dieu, notre vieille demeure

À cause de la foi que gardèrent en Vous

Nos aïeux, les anciens qui, courbés à genoux,

Ont toujours attendu Votre jour et Votre heure.

 

À votre loi, Seigneur, ils vécurent soumis.

Jamais un mot amer n’a paru sur leur bouche,

Et, tels des épis mûrs que le moissonneur couche,

Dans les bras de la Mort ils se sont endormis...

 

Si, parfois, dans la nuit, quelque grêle muette

Venait anéantir leur seigle ou leur froment,

Ils ne murmuraient point, et disaient, doucement :

« Le Seigneur l’a voulu : sa volonté soit faite ! »

 

       Quand ils eurent bâti leur maison,

       De bouleau, de sapin, et d’érable,

Avant d’y faire entrer le poêle vénérable,

Qui devait allumer leur pipe à son tison ;

 

       Avant de mettre chaque armoire

En son coin. D’accrocher les corbeilles à pain,

De placer le vieux banc, la huche de sapin,

       La boîte à bois et les tasses à boire ;

 

       Avant de fixer sur les poutres,

Les fusils à cartouche et les fusils à plomb,

De mettre le vieux ber et la table d’aplomb,

Et de plier leur belle veste en peaux de loutres ;

 

       Avant de clouer, sûrs et droits,

Les accrochoirs, portant le froc et la mantille,

Même avant de songer à souper en famille,

Sur le mur de bois franc, ils ont placé la croix !

 

 

 

Blanche LAMONTAGNE, août 1917.

 

Paru dans Almanach de l’Action

sociale catholique en 1918.

 

 

 

 

 

 

 

 

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