Le travail des mains

 

 

 

Les heures chaudes passent. Les gens entrent et sortent de sa chambre par les portes sans battant. Il feuillette ses papiers, dicte ses lettres, instruit ceux qui le consultent. Parfois un oiseau entre par la porte de gauche, sautille au milieu de la chambre, salue de la tête et s’envole par la porte de droite...

Le travail achevé, toute inquiétude remise, le Mahatma Gandhi fait un signe : alors on lui apporte son rouet plat qui ressemble à un violon. Et jusqu’à la tombée du soir, il tire un fil égal, fort, avec un son qui berce la pensée.

« Je vous conseille fortement, me dit-il dès l’abord, de mettre de côté tout travail de clerc et de vous donner à faire avec vos mains. »

Oui, le travail des mains est l’apprentissage de l’honnêteté. L’honnêteté c’est une certaine égalité entre ce qu’on prend et ce qu’on rend.

Nul homme n’est par nature dispensé du travail de ses mains. Même celui qui se voue aux travaux incomparablement supérieurs de l’esprit n’en est pas dispensé, à moins qu’il ne renonce à tout ce qui a coûté de la peine en ce bas monde. S’il s’en dispense et ne renonce pas, il charge les autres de sa peine et reste en dette envers eux. Les travaux de l’esprit ne donnent droit qu’aux satisfactions spirituelles qui sont d’ailleurs incomparablement supérieures.

L’honnêteté veut que chaque problème soit résolu sur son propre plan. Sauter d’un plan à l’autre au moment de l’échéance, c’est donner le change. Payer la dette de peine par de l’argent, c’est peut-être aussi donner le change, car l’argent, dans les mains de celui qui n’a jamais travaillé de ses mains, est un signe sans signification. Le débiteur en est peut-être satisfait, l’honnêteté non.

Il faut d’abord acquérir le droit de donner. Il n’a pas le droit de donner, celui qui n’a pas rendu.

Que les désirs se réduisent aux besoins. Le travail des mains aura vite fait d’y pourvoir : alors l’homme se trouvera libre. Le bien ne peut venir que d’hommes libres, et d’abord libres de dettes et de désirs.

Même si vous avez une manière autre et plus haute de prendre part à la tâche commune, ne laissez cependant jamais de travailler un peu de vos mains.

Craignez d’être sublime sans profondeur, grand sans point d’appui, et parfait dans le vide. Tâtez avec des actes la vérité que votre intelligence a vue.

Que le travail de vos mains soit une marque de reconnaissance et un hommage à la condition humaine. On se penche pour saluer. Saluez chaque jour l’homme, en vous penchant sur le travail. Pensez : je refuse de me croire supérieur au commun des hommes. En fait, rien n’est plus commun que de se croire supérieur. Certes, l’humilité n’est pas une vertu qu’on acquiert de propos délibéré. C’est une grâce qui vient d’en haut sur les meilleurs. Mettez-vous en état de la recevoir.

Je vais donc être mis au rouet et à l’établi... Avec mes talents de luxe et mon savoir futile, je me trouve aussi nu qu’un nouveau-né. Ce n’est pas aujourd’hui que je me sens disposé à me croire supérieur au commun des hommes. Je ne pense plus qu’à ma dette. Comment ne me suis-je pas aperçu combien elle était grande et criante ? J’en ai pour quelques centaines d’années. Il n’y a pas une minute à perdre...

 

 

LANZA DEL VASTO, Le pèlerinage aux sources.

 

 

 

 

 

 

 

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