Sagesse

 

 

N’imitons pas, veux-tu, la vestale aux mains blanches,

Qui, fière d’empourprer le front chaste du soir,

Nourrit le feu sacré de sarments et de branches,

Et s’éveille, au matin, devant un foyer noir.

 

Que notre sentiment, moins fougueux, soit plus tendre ;

Surtout qu’il soit modeste ! On est parfois tenté

De croire qu’on éclipse Yseut, Héro, Léandre,

Et qu’avant soi l’amour n’était pas inventé.

 

Je t’adore, c’est sûr ; tu m’aimes, c’est probable ;

Mais combien ici-bas se chérirent autant !

Puis, d’avoir trop repu la chair insatiable,

L’amoureux forcené n’est pas le plus constant.

 

Ne me dis pas qu’unique au monde sublunaire,

Notre amour s’affranchit des médiocres lois.

Crois-moi ; nos pauvres cœurs n’ont rien que d’ordinaire,

Puisque tout homme, au fond, s’adjuge un cœur de choix,

 

Ne tentons point d’atteindre aux passions sublimes,

Aux zéniths de l’extase et de la volupté...

– Vois, la neige a déjà meurtri les hautes cimes,

Quand la plaine défaille aux bras chauds de l’été.

 

 

 

R. de LA ROUGEFOSSE D’ARC.

 

Paru dans La Muse française en 1924.