Le délire

 

 

À mon ami F. Calongne

 

                    Grâce au ciel mon malheur passe mon espérance.

                                                                                J. RACINE.

 

                    Que la nuit paraît longue à la douleur qui veille !

                                                                                    SAURIN.

 

                    Alors je suis tenté de prendre l’existence

                    Pour un sarcasme amer d’une aveugle puissance,

                    De lui parler sa langue, et, semblable au mourant

                    Qui trompe l’agonie et rit en expirant,

                    D’abîmer ma raison dans un dernier délire,

                    Et de finir aussi par un éclat de rire.

                                                                                Harmonies.

 

 

Toi qui suspends les pleurs, absorbe la souffrance,

De l’être malheureux unique jouissance,

Sommeil consolateur, verse-moi tes pavots !

Un délire infernal me ronge, me dévore !

La nuit va s’écouler, bientôt la douce aurore

            Éclairera mes maux !

 

Tout repose, tout dort dans cette nuit profonde ;

Il me semble que seul je veille dans ce monde !

Minuit sonne à l’horloge, entends-tu bien ?... minuit !

Pour ma pensée en deuil, c’est un glas qui bourdonne ;

C’est pour moi, naufragé, la vague monotone

            Qui se brise et s’enfuit.

 

Oh ! quel bruit imposant a frappé mon oreille !

C’est la foudre qui gronde, et l’écho qui s’éveille

Répercute ces sons qui vibrent dans les airs.

Pour mon âme attristée, affaiblie, abattue,

Ces puissantes vapeurs qui sillonnent la nue

            Sont les plus beaux concerts.

 

Ma tête est un volcan, et mon sang qui fermente

Est la lave qui bout dans sa fournaise ardente.

Autour de moi je vois étinceler des feux ;

À travers la lueur de ces clartés sans nombre,

Je vois passer sans cesse et s’agiter dans l’ombre

            Des fantômes hideux.

 

Serait-il de la mort le funeste présage ?

Quoi ! la mort viendrait m’enlever à mon âge !

À ma porte bien vite a frappé le malheur !

L’existence, pour moi, fut lourde et bien amère ;

Et jamais, dans ma vie, une douce chimère

            N’a consolé mon cœur.

 

Dès quinze ans, je connus les chagrins de la vie ;

La coupe des douleurs bientôt me fut servie :

Goutte à goutte, il fallut m’abreuver de ce fiel,

Pour augmenter l’horreur et doubler le supplice,

Le sort, en m’apportant cet infernal calice,

            L’y couronna de miel.

 

Ami, te souviens-tu de notre heureuse enfance ?

De nos beaux jours passés au sein de l’innocence ?

Tout joyeux, nous voguions sur un océan pur ;

Poussés par les zéphyrs, nous faisions le voyage,

Tous deux, tranquillement, sans redouter l’orage,

            Le ciel était d’azur.

 

On eût dit que pour nous se peignait sa coupole ;

L’espérance irisée était notre boussole.

Cependant apparut, à l’horizon lointain,

Un point noir, précurseur des horribles tempêtes,

Qui, bientôt grossissant, prépara sur nos têtes

            Un orage prochain.

 

Le tonnerre a grondé sur la voûte azurée ;

Ma barque de la tienne enfin s’est séparée ;

L’aquilon furieux a soulevé les flots ;

Mon vaisseau fracassé, mutilé par l’orage,

M’a jeté, loin de toi, sur une aride plage

            Où me fuit le repos.

 

Préservé par les flots ou ton heureuse étoile,

Vers un ciel plus serein cependant tu fis voile ;

Dans un port vaste et sûr ton navire abordait.

Là, le plaisir te prit sur son aile légère,

Te fit tourbillonner dans sa rapide sphère,

            Que ton âme attendait.

 

Depuis lors, le destin te fut toujours prospère ;

Le Ciel récompensa ton noble caractère.

Oh ! qu’il daigne sur toi répandre ses faveurs !

Moi, maudit, tourmenté sur un lit de souffrance

Où je suis enchaîné, je n’ai que l’espérance

            De répandre des pleurs !

 

Encor, si des amis... insultante ironie,

Que ce mot prononcé chaque jour dans la vie !

Le malheureux mortel, accablé par le sort,

A-t-il à son chevet, soit qu’il souffre ou sommeille,

(Si ce n’est pas sa mère) un seul être qui veille

            Près de son lit de mort ?...

 

C’est en vain qu’il appelle à son heure dernière ;

Nulle main ne viendra lui fermer la paupière !

C’est alors que sa voix doit s’adresser au Ciel ;

Après tant de tourments, c’est son seul refuge.

De ses fautes, du moins, il aura Dieu pour juge

            Au séjour éternel !!!

 

 

Septembre 1839.

 

 

Alexandre LATIL.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie louisianaise,

textes choisis et présentés par les étudiants de français

de Centenary College of Louisiana,

sous la direction de D.A. Kress et Rebecca Skelton,

Éditions Tintamarre, 2010.

 

 

 

 

 

 

 

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