Concert de Fiellouze

 

 

                           I

 

Annie tu es tant mon amour

Que ma vieille voix imprécise

Se repent d’avoir murmuré

Un pareil mot avant ce jour,

Car c’est le seul qui te traduise.

Je n’en ai jamais décoré

Une autre bouche féminine,

Je l’ai gardé vierge et si clair

Pour ta seule âme, pour tes jeux,

Avec son filet de lumière

Qu’il tient de la grâce divine,

Comme il est le seul mot pour Dieu.

 

 

                          II

 

Je n’ai rien connu avant toi

Où je puisse me reposer,

Sinon les choses d’espérances ;

Je ne pouvais sortir de moi...

Ne t’effraie pas, si je m’étonne

De ton amour, de ta présence :

Je suis créé pour m’étonner...

J’ai tant cru devoir m’en aller,

N’étant amoureux de personne

Et sans être vraiment aimé...

 

 

                         III

 

Toutes les notes musiciennes

Que rend mon âme en fiançailles,

Qu’elles sont lentes à monter

Le long d’une gorge où tressaille

Le moindre des vents qui surviennent !

Pourtant je les sens palpiter,

Enfouies sous des couches de cendre,

Comme sont les dunes du temps,

Mais bien trop bas pour les surprendre...

Annie de moi, que j’aime tant,

Ce cri d’amour, encor couvert,

Quand il aura rejoint l’espace,

Va-t-il rester silencieux ?

Alors que sa route est si claire

Depuis les sources de la Grâce

Jusqu’à son trembler dans tes yeux...

 

 

                          IV

 

Je n’avais pas encor suivi

Ces chemins au cœur d’une femme,

Mais j’ai dispersé quelquefois

Beaucoup d’appels, beaucoup de cris,

Sans les diriger vers une âme,

Une seule âme – et c’était toi !

Je n’ai pas tellement grandi,

Tu es l’unique fiancée,

Je n’ai pas les ans de mon âge...

Tu es l’amour que j’ai cherché,

Mais aucun geste, aucune image

De l’isolement d’autrefois

N’ont eu besoin de se cacher

Quand tu es descendue vers moi...

 

 

                           V

 

Il n’est pas de chambre en mon cœur

Où tu ne puisses t’endormir ;

Il n’est pas de vent sur ma terre

Où tu ne puisses pas courir ;

Il n’est pas de joie de naguère

Que je ne puisse pas t’offrir !

Oh ! Annie, même pour la Grâce,

C’est dans ton ciel, quand elle passe,

Que je la rejoins maintenant.

 

 

                          VI

 

Ne me crois pas un enchanteur...

– Ou bien tu es l’enchantement

Qui a d’abord saisi mon cœur.

Je savais jouer de ses fibres,

Je n’ose y toucher maintenant.

Elles sont trop fendues vers toi !

Tu peux seule y poser les doigts

Si tendrement qu’elles ne cassent,

Tu es leur seule note humaine,

Petite fée, leur seul appel

Féerique, petite grâce,

La seule âme qui sous le ciel

Puisse être ma musicienne...

 

 

                         VII

 

Mais lorsqu’en moi je m’abîmais,

Que je trouvais mes créatures,

Je ne pouvais pas les aimer

De mon baiser de mon regard,

Et tout mon amour en criait...

Et je me cachais sa blessure,

J’en étouffais le désespoir,

Car je me peuplais de tant d’êtres

Et je me donnais tant de voix

Que j’en ai mal souffert peut-être ;

Et pourtant il criait parfois.

Quand, Annie, tu m’es apparue

Comme un poème inespéré,

Quand je t’ai prise et reconnue

Pour celle qui donne le jour,

J’ai compris que Dieu désirait

Que je fisse un monde d’amour...

 

 

                         VIII

 

Je voudrais tant que ma joie fût heureuse,

Puisqu’elle vient de s’incarner,

Et toutes les autres demeurent...

Ah ! puisses-tu descendre en mon âme amoureuse,

J’ai tant de zones de bonheur

Qui ne furent jamais données...

 

 

 

Patrice de LA TOUR DU PIN,

Une somme de poésie, Gallimard.

 

Recueilli dans Les poèmes du foyer.

 

 

 

 

 

 

 

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