LA JEUNE FRANCE

 

 

Mortels aux sens flétris, à l’âme desséchée,

Qui pensez, mais en vain, froide argile ébauchée,

                Vous mesurer à l’Éternel !

Qui craignez l’avenir et niez l’espérance :

Loin de nous, insensés ! Place à la jeune France,

                Place à la tribu d’Israël !

 

Oui, nous sommes les fils du siècle qui commence.

Dieu doit guider nos pas dans cette plaine immense

                Où la foule marche au hasard ;

Nous avons entendu la parole féconde

De celui qui toujours a vu trembler le monde

                Aux feux de son puissant regard !

 

À la voix du Seigneur l’homme se sent renaître :

Car Dieu se manifeste à qui veut le connaître,

                Il parle à qui veut l’écouter !

Nous inclinons nos fronts sous sa main tutélaire :

Quand le doute à sa suite entraîne le vulgaire,

                Nous, nous rougirions de douter !...

 

Oh ! que l’impiété soit désormais bannie

Parmi ces imposteurs sans force et sans génie,

                Esclaves nés des factions,

Jouets défigurés des passions humaines,

Que l’orgueil attacha par d’immuables chaînes

                Au char des révolutions !

 

Parmi ces vils pécheurs qui de leurs mains tremblantes

Couvrent leurs yeux ternis, lumières défaillantes,

                Pour ne pas voir l’éternité ;

À tout ce vain troupeau de vieillards indociles,

De faux dieux vermoulus sectateurs imbéciles,

                Nous laissons l’incrédulité.

 

Tel, à peine échappé de l’aire paternelle,

L’aigle, s’abandonnant à l’essor de son aile.

                Va fixer en ses nobles jeux

L’astre resplendissant père de la nature,

Tandis que le reptile et sa famille impure

                Rampent dans les marais fangeux.

 

Pourtant ne croyez pas qu’abjurant la jeunesse

Nous allions proscrivant, comme indigne faiblesse,

                La douce et riante gaîté ;

Et que, marchant toujours en des sentiers arides,

Nous voyions s’envoler les colombes timides

                Devant notre rigidité !

 

Non ! nous semons de fleurs la route passagère ;

Le bal voluptueux et sa danse légère

                Ont encor des charmes pour nous ;

Celui qui nous éclaire au fond de nos abîmes

Veut des adorateurs, et non pas des victimes

                Qui portent leurs fers à genoux.

 

Du plaisir nous suivons la trace fugitive :

Les accents gracieux de la vierge naïve

                Font aussi palpiter nos cœurs ;

Quand le ciel retentit des divines louanges,

Le démon seul prodigue aux chants lointains des anges

                Les dédains amers et moqueurs.

 

Mais nous accomplirons la mission céleste :

Au talent qu’étouffa la tourmente funeste

                Nous relèverons des autels ;

Nous devons, terrassant l’ignoble jalousie,

Tirer du noir chaos la chaste poésie

                Et la révéler aux mortels !

 

Nous devons embellir la vertu trop austère,

Nous devons à jamais proclamer à la terre

                L’antique foi du souvenir !

Rappeler les humains a leur divine essence,

Protéger hautement la craintive innocence

                Qu’un souffle impur voudrait ternir.

 

Le Seigneur nous a dit : « Voyez comme l’impie

» Dans son impunité marche et se glorifie !

                » Ses crimes vont être expiés !

» Le laboureur, au temps des moissons jaunissantes,

» Jette sur le chemin les plantes malfaisantes,

                » Et le passant les foule aux pieds ! »

 

Et nous voilà remplis d’une force invincible !

Tout prêts à consommer l’expiation terrible

                Dont l’univers sent le besoin.

Les temps sont arrivés ! un seul moment encore !...

Quand à la longue nuit a succédé l’aurore,

                C’est que le soleil n’est pas loin !

 

 

 

                                                                  Charles LAURENT.

 

                                  Paru dans Écho de la jeune France en 1833.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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