Mon pays

 

 

La douce paix habite une pauvre cabane,

Plutôt que le palais. Dans mon pays surtout,

La modeste vertu d’où le bonheur émane,

Chez les fiers montagnards, on la trouve partout,

Se cachant humblement sous le chaume et la neige,

Au revers d’un coteau qu’un joli bois protège.

 

La violette aux champs, se tenant à l’écart,

À l’abri d’un vieux mur qu’un chaud rayon éclaire,

Réserve ses parfums et sa couleur sans fard

Pour le lézard frileux, pour l’homme solitaire,

Pour la brise qui passe et l’étoile qui luit,

Pour le rêveur distrait que le hasard conduit.

 

Aux balcons des cités la fleur se décolore,

Ses pétales flétris s’affaissent tristement

Et perdent leur odeur au souffle impur du vent.

Où le Vrai disparaît, le Beau ne peut éclore.

 

Le Vrai, c’est l’univers tel que Dieu nous le fit,

Se présentant à nous sous des formes naïves,

Offrant de gais aspects, de molles perspectives,

Un spectacle changeant qui jamais ne finit,

Mais où tout s’harmonise en un accord sublime,

La feuille avec le vent, la neige avec la cime !

 

                                    ... Le vrai, c’est le buisson

Où l’oiseau fait son nid et nous dit sa chanson ;

C’est la fente d’un roc qui soutient une plante,

Un ruisselet bavard qui dans les prés serpente,

L’écume du torrent remontant aux glaciers

À travers les ravins et les sommets altiers,

Pour retomber, demain, sur les feuilles des arbres,

Et mettre à nu la pierre et les veines des marbres.

C’est le jeune sapin se riant des frimas,

Sous son toit élégant courbé par le verglas.

 

À la fin de l’hiver, la drave printanière –

Une petite fleur – se montre, toute fière,

Pour donner le signal des fêtes du soleil

Aux premières rougeurs de l’horizon vermeil.

Lorsque l’aube a semé ses diamants, ses perles

Jusque dans les fourrés où se cachent les merles,

Le jour éblouissant vient répandre son or.

Sur les bourgeons soyeux qui s’ouvrent sans effort.

Au bord du précipice un arbuste s’incline ;

Sur son cercle éternel l’astre brillant chemine,

Et le ciel pur se voit souriant de plaisir

Au fond d’un lac d’argent azuré de saphir.

 

                                      ... Ô mes chères pensées !

Loin des chemins poudreux, vous êtes dispersées,

Quand la nécessité, votre maître inhumain,

Vous a laissé franchir sa barrière d’airain.

Vous volez sur les pics, vous courez dans les plaines ;

Du matin parfumé vous buvez les haleines ;

Comme l’abeille, enfin, vous puisez dans la fleur,

Avec le même dard qui produit la douleur,

Le baume bienfaisant, du miel pour l’amertume,

Et l’ardent feu sacré dont l’âme se consume !

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Le soir, dans la campagne, au milieu des forêts,

Je me sens loin de l’homme, et de Dieu bien plus prés ;

La douce émotion dont mon âme est saisie,

C’est l’idéal du Vrai ; ... c’est de la poésie !

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Un ruban empourpré suit la crête des monts,

Tandis qu’un voile noir s’étend sur les bas-fonds ;

L’oiseau devient muet, et les vents font silence.

Sentez-vous votre cœur redoubler sa cadence ?...

Quel charme vous saisit ? quel frisson vous étreint,

Entre l’ombre qui monte et le jour qui s’éteint ?

Écoutez !... Est-ce un souffle ? un soupir ? un murmure ?

Est-ce un esprit follet secouant la ramure ?

Quelle est donc cette voix qui contient mille voix,

Cette plainte des nuits particulière aux bois ?...

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Bientôt tout se confond, les arbres, la prairie.

Est-il rien de plus doux que cette rêverie,

Dans un air embaumé d’odeur de foin nouveau ?...

C’est encore le Vrai, et c’est aussi le Beau !

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Avez-vous des projets de gloire et de fortune ?

Cela s’évanouit dés qu’apparaît la lune

Derrière le profil d’un château délabré

D’où la foudre, s’aidant de la ronce et du lierre,

Arrache sans pitié, tous les jours, quelque pierre,

Et fait tomber un mur sur un mur effondré.

Détournez vos regards de ce tableau lugubre,

Comme on fuit l’air mortel d’un marais insalubre ;

Portez vos yeux plus bas. Au milieu du vallon,

La terre qui s’endort, mais qui toujours respire,

D’un voile transparent déployé par Zéphire,

Se couvre jusqu’au jour, sans peur de l’Aquilon.

De la fine vapeur émerge la chaumière,

À l’endroit où scintille une faible lumière

Qui s’éteindra bientôt. – Depuis quelques instants,

Sur un grand lit ouvert, dorment deux beaux enfants ;

Les grands bœufs fatigués ruminent à l’étable,

Et la jeune fermière, au doux visage aimable,

Emmaillote un bébé pour le mettre au berceau ;

Après l’avoir baisé, l’embrasse de nouveau,

Le caresse, lui parle, en faisant sa prière...

Enfin le chérubin a fermé sa paupière...

Maintenant tout repose au nid du laboureur.

C’est le Beau dans le Vrai,... c’est aussi le Bonheur.

 

 

 

Pierre LAZERGES.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1895.

 

 

 

 

 

 

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