En mai

 

 

Des cloches ont tinté dans le calme du soir...

Ô mon pays, pays d’Arvor, si doux à voir,

Terre en qui l’on sent vivre une âme presqu’humaine,

Quel est ce souvenir qui vers toi me ramène ?

On dirait qu’un ami me conduit par la main,

Et je vais... Des ajoncs verdissent le chemin ;

L’air s’emplit de l’odeur des aubépines blanches ;

Les larmes de la nuit tremblent au bout des branches,

C’est signe que l’on pense à moi, des pleurs aux yeux,

Et, d’être ainsi pleuré, mon exil est joyeux.

Chez nous, le moi de Mai, c’est le mois de Marie,

La cloche tinte... On aime ailleurs ; chez nous on prie...

Les autels sont parés ; à genoux, paysans !

Et, dans l’église en fleurs, monte un parfum d’encens ;

Des papillons d’été volent autour des cierges.

Comme les chants sont beaux sur la lèvre des vierges !

Elles disent : « Salut, Étoile de la mer ! »

Et les pêcheurs, brûlés par l’âpre vent d’hiver,

Tout frissonnants encor des longues nuits d’Islande,

S’inclinent, à côté des pâtres de la lande

Qui, le rosaire aux doigts et le front sur l’épieu,

Dans leur silence grave, ont l’air d’écouter Dieu.

 

Ô laboureurs de flots, ô laboureurs de terre,

Ce Dieu qui parle en vous, c’est l’âme héréditaire

Dont le souffle vivace et le frisson vainqueur

Du cœur des Celtes morts vous passent dans le cœur.

Et, tandis qu’en son vol le virginal cantique

Emporte vos Ave vers la STELLA mystique,

Une autre étoile en vous scintille, et sa clarté

Fait de votre âme douce un firmament d’été.

Lampe de l’Idéal, pâle et triste lumière

Que notre vieille race alluma la première,

Qu’elle abrita – tremblante encore – de sa main

Et suspendit dans l’ombre au fond du cœur humain !

L’humble étoile, en ces jours de détresse où nous sommes,

Va, dit-on, se mourant de l’abandon des hommes.

Une bouche mauvaise a sur elle soufflé !

La lampe d’or n’est plus qu’un vieux vase fêlé

D’où l’huile sainte filtre, et fuit, et s’épand toute...

Ah ! vous, du moins, gardez qu’il n’en tombe une goutte ;

Entretenez la flamme avec un soin jaloux,

L’heure est proche où la terre aura besoin de vous.

Veillez que toujours brille et jamais ne se voile

L’astre aimé des aïeux, la pâle et douce étoile !

 

Les temps sont annoncés. On reconstruit le ciel.

Quand passeront les voix des chanteurs de Noël,

Soyez prêts ! Vous verrez, par la lande et la grève,

Les pèlerins nouveaux monter vers l’ancien rêve,

Et, comme au temps d’Arzur, rallumer à tâtons

Le divin flambeau d’âme au foyer des Bretons.

 

 

Anatole LE BRAZ.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1892.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net