Étoiles qui régnez...

 

 

Étoiles qui régnez dans la nuit florentine,

Étoiles qui brillez dans cette ombre divine

Où l’Arno lance à peine un éclair pâle et froid,

Je vous regarde en haut trembler : le bruit décroît.

La Cité va sombrer au sommeil ; les théâtres

Ont fini d’agiter, tragiques ou folâtres,

Leurs fantoches aux yeux d’un peuple émerveillé,

Les pauvres, mal repus d’un repas mendié,

Les heureux, dégoûtés d’un bonheur illusoire,

N’ont plus souhaité tous que d’être sans mémoire.

Le passé ressaisit Florence lentement.

Le silence descend du profond firmament ;

La lune ne s’est pas, lumineuse, levée.

Encore une journée accablante achevée.

Étoiles, contemplez la ville qui s’endort,

Vous qui savez la vie et qui savez la mort.

 

Quel passé se reflète en vous, clartés lointaines ?

Sans doute vous songez à la seconde Athènes

Que fut cette Florence en des temps abolis.

Vous avez vu flotter avec de puissants plis

Les étendards que, fière, eu sa grandeur unique,

Au front de ses palais dressait la République.

Oui, vous vous souvenez, étoiles de toujours,

Des meurtres, des complots au fond des palais sourds,

Que d’ombres vont peut-être, encore inapaisées,

Implorant vainement les célestes rosées,

Et n’entendant, le long des quais nus, que le bruit

D’un passant attardé, divaguant dans la nuit !

Ah ! mornes visions ! – Mais, ô Contemplatrices,

La double colonnade, au Palais des Offices,

Là-bas, dans le mystère, à vos regards tremblants,

Tous de marbre et drapés, montre des spectres blancs.

Ces grands hommes, debout, en un geste immobile,

Tiennent au fond de l’ombre un auguste Concile ;

Et cela vous console, ô lumières des Cieux,

Qu’ils semblent se parler, bien que silencieux.

 

Sur San Miniato, plongé comme en un songe,

Votre regard profond, étoiles, se prolonge.

Puis, amicalement, vous qui n’oubliez pas,

Vous inclinez vos yeux vers Fiesole, là-bas.

Vous avez écouté longuement, en des heures

Que nous croyons, lassés du lourd présent, meilleures,

Dans ses jardins charmés les profonds entretiens,

Les dialogues purs des Platoniciens.

Ils allaient, l’âme ardente, aux discours entraînée,

Le front aux cieux, la main de quelque branche ornée.

Ils parlaient de l’Amour, ils célébraient l’Amour.

À le chanter, souvent, les a surpris le jour.

Ah ! qui donc aujourd’hui tient le beau thyrse, étoiles ?

Ils disent : « Nous avons écarté tous les voiles.

Il n’est plus de mystère encore à déchirer. »

S’ils disaient vrai, mes yeux n’auraient plus qu’à pleurer.

Mais ils n’en savent rien, ô splendeurs immortelles !

Tout l’éther reste encore, où déployer nos ailes.

Les sages d’autrefois, aimant votre clarté,

Y trouvaient plus de joie et plus de vérité ;

Et moi, j’aime comme eux votre lumière amie,

Étoiles qui brûlez sur Florence endormie.

 

 

 

Louis LE CARDONNEL.

 

Paru dans La Muse française en 1924.

 

 

 

 

 

 

 

 

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