Le piano

 

 

Sur le clavier sanglote une dolente phrase,

Dans la maison la plus triste du quai désert ;

Lourde l’eau, bas le ciel, où le couchant s’écrase.

 

Phrase lente, elle conte une longue misère :

C’est un De Profundis qui ne croit pas en Dieu,

Et supplie, en sachant le néant de son vœu.

Et l’on sent, reflétée en sa monotonie,

La monotone horreur de ce vide infini.

 

Monotones les jours de celle-là qui joue,

Et que l’Amour n’a pas assez de ciel comblée,

Ou qui, peut-être, songe à quelqu’un d’exilé

Là-bas, sur quelque mer monotone, ou mort fou

Des mépris expiés par celle-là qui joue.

 

Ah ! dans cette maison triste du quai désert,

C’est le Miserere de toute sa misère,

Au milieu d’un désert qui n’aura pas de manne,

Et que traversera seule, écho de Schumann,

Et que remplira seule, à jamais, cette phrase

Morne comme le ciel où le couchant s’écrase !

 

 

 

Louis LE CARDONNEL.

 

Paru dans Toutes les lyres,

anthologie critique des poètes

contemporains, 1911.

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net