LA PEINE QUOTIDIENNE

 

 

 

                                       I

 

Hors du jardin tragique à jamais dévasté,

J’ai marché lentement vers la ville bruyante :

Non point que sa rumeur incertaine me tente,

Mais mon cœur a suivi ma rude volonté.

 

J’ai vu, dans le lointain si longtemps redouté,

L’Image, peu à peu sous mes yeux défaillante,

Pour la première fois devenir une absente.

Et j’ai marché d’un pas ferme vers la cité.

 

Des cris. Des gestes durs. Des chansons et des plaintes.

De beaux couples d’amants qui liaient leur étreinte.

D’autres qui s’éloignaient et n’osaient plus rêver.

 

Mais sourd à ces grands bruits de larmes et de rires,

J’ai déjà, pâle et frémissant, pu retrouver

Le goût de ma douleur dans l’air que je respire.

 

 

 

                                      II

 

Regarde tout l’amour qui t’entoure et te presse.

Celui qui fait le monde et qui t’a fait vivant

Veut que l’air soit plus vif et pur au jour levant,

Plein de force à midi, et le soir de tendresse.

 

Il veut que le printemps éclatant de jeunesse

Jette tous les parfums à la face du vent ;

Qu’après l’été vainqueur et l’automne émouvant

L’hiver soit le temps dur des secrètes promesses.

 

L’harmonie et l’amour commandent ton labeur.

Toi qui sais ce qui fait que les terres sont belles,

Tu ne connaîtras pas d’autre loi que la leur.

 

Sois comme elles soumis et généreux comme elles

Et que le même amour qui féconde ton champ

Élève en toi son doux et mystérieux chant.

 

 

 

                                                          Louis LEFEBVRE.

 

                                             Paru dans La Muse française en 1923.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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