Dieu

 

 

Que mes yeux aisément reconnaissent tes traces,

Esprit universel dont la divinité

De l’empire possible occupe les espaces

        Et se perd dans l’immensité !

Ô toi, par qui les temps ont commencé d’éclore,

Toi qui remplissais tout, quand rien n’était encore,

Qui formé par toi seul enfermes dans ton sein

La cause, les effets, le principe et la fin,

De ton trône éternel la nuit couvre l’enceinte :

Mais avec quel éclat, avec quelle grandeur

Sur ce vaste univers je vois ta main empreinte !

Quel spectacle !... ô nature, il me peint ton auteur !

Soleil, je vois le Dieu qui t’a marqué ta route,

Et qui des cieux surpris a suspendu la voûte :

Il parle à ma raison, à mes sens, à mon cœur.

Hardi fabricateur d’arguments sophistiques,

Raisonneur insensé, qu’on appelle esprit-fort,

Toi qui toujours couvert de vapeurs léthargiques,

Portes à tes côtés les regards de la mort,

        Tu ne peux dans la créature

Saisir du Créateur le sublime rapport ;

Ce tout harmonieux dont tu vois la structure,

Ne t’offre point la main qui règle ton ressort ;

Et ton cœur engourdi ne sent qu’avec effort

        Les secousses de la nature.

Si tes secrets replis pouvaient nous être ouverts,

Sous le voile imposant d’une arrogance feinte,

Peut-être nous verrions le serpent de la crainte,

T’abreuver à longs traits de ses poisons amers.

Eh ! combien j’en ai vu, dans leur folie extrême,

        Livrés à d’éternels combats,

De l’incrédulité soutenir le système

Que leur esprit confus désavouait tout bas !

Est-on heureux sans toi, religion céleste ?

Nous bénissons ton joug ; tes devoirs nous sont chers ;

Par toi, dans les douleurs, l’espérance nous reste ;

Que de plaisirs perdus pour ces hommes pervers !

Qu’on craint peu de marcher devant l’Être suprême,

Quand on suit constamment les principes du beau !

Quelle félicité pour le juste qui l’aime,

De songer qu’il doit vivre au-delà du tombeau !

D’un paisible avenir l’image consolante,

        Quand il est content de son cœur,

        Devant ses yeux se représente ;

        Et dans le charme de l’attente

Lui donne un avant-goût du céleste bonheur.

Heureux dans tous les temps, est-il dans l’abondance,

        Il jouit par le bien qu’il fait

Et par les tendres vœux de la reconnaissance ;

La source de ses dons coule dans le secret :

Dieu le voit, il suffit, il a sa récompense.

Tranquille, inébranlable au milieu des revers,

Dans un lointain riant il découvre leur terme :

D’un front aussi serein et d’un œil aussi ferme

Il verrait sous ses pas s’écrouler l’univers ;

Renversé dans l’abîme où gémit l’indigence,

Trahi par l’amitié, par le sang, par l’amour,

Déshonoré, proscrit, et perdant sans retour

L’estime, ce tribut qu’on doit à l’innocence,

Jeté dans les cachots qui dérobent le ciel

Au pâle infortuné luttant avec sa chaîne,

Flétri par le mépris, poursuivi par la haine,

Buvant jusqu’à la mort un calice de fiel,

Couché sur un grabat où l’ange des ténèbres

Couvre l’homme expirant de ses ailes funèbres,

Il lève vers son Dieu ses languissantes mains...

Ô charme ! ô doux prodige ! à ce nom qu’il implore,

Ses maux sont oubliés ; une nouvelle aurore

Fait briller l’espérance à ses regards éteints.

Mais ce Dieu, quel est-il ? Juges faux que nous sommes,

Nous lui prêtons souvent les passions des hommes :

L’amour des nouveautés a séduit plus d’un cœur,

        Et souvent sur ce tas de boue

De l’incrédulité l’imposture se joue.

Esprit de vérité ! dans les mains de l’erreur

Tu reçois ici-bas mille formes bizarres :

Le Sauvage te peint sous sa noire couleur ;

D’un vaste continent les habitants barbares

Arrosent tes autels du sang de la terreur.

Que tu vois en pitié ce peuple adorateur,

Qui t’ose figurer comme il se voit lui-même !

        Que tu ris du petit système

Qu’avec tant d’assurance il fait de ta grandeur

        Sage organe de la nature,

Une religion satisfaisante et pure

À mes sens attendris annonce un Dieu de paix,

        Qui par des chaînes, des bienfaits,

Se plaît à rapprocher cet intervalle immense

        Qu’entre le maître et ses sujets

        Mit sa sublime intelligence.

Âme de l’univers, au sein de ce grand corps

Il fait régner sans cesse une heureuse harmonie ;

Il dispose, il ordonne, et de chaque partie

Ses dociles agents font mouvoir les ressorts.

Dans un vide sans fin les uns tournent ces mondes,

Dont le nombre, le cours, les phases, les rapports,

Offrent aux yeux mortels des ténèbres profondes ;

        D’autres pompent du sein des mers

Ces brouillards qui, longtemps balancés dans les airs,

Se distillent ensuite en bienfaisantes ondes

Sur les sommets glacés qu’habitent les hivers,

D’où, grossis des tributs de cent sources fécondes,

Ils vont de leur limon engraisser l’univers.

L’Être assemble à ses pieds ses ministres fidèles ;

D’un signe irrévocable il fixe les destins :

La justice et l’amour, ses filles immortelles,

Dispensent à son gré, dans le cœur des humains,

Les plaisirs consolants et les peines cruelles :

        Tandis qu’aux soucis dévorants,

Sous ses lambris dorés, le superbe est en proie,

Sous l’humble toit du pauvre il recèle la joie.

Le sommeil, à sa voix, descend sur l’innocent,

Tandis que les remords, l’effroi, l’inquiétude,

Suivent, pendant la nuit, le coupable tremblant,

        Dans l’horreur de sa solitude,

Veillant près du débris d’un poudreux monument.

Plus touché qu’irrité de la faiblesse humaine,

Il frappe ses enfants, mais pour les corriger :

Lui prêter nos fureurs, ce serait l’outrager ;

Un Dieu peut-il sentir le tourment de la haine ?

        La vérité sévère, organe de ses lois,

Tient ouvert devant lui le livre de la vie ;

C’est là que sont écrits les noms dont il fait choix,

Le bienfait qu’on ignore, et celui qu’on oublie ;

Les mérites obscurs, les timides vertus,

Jusqu’aux désirs secrets que lui seul a connus.

Cette flatteuse idée encourage et console

L’homme dont l’intérêt au bien commun s’immole :

Par elle un noble cœur, victime des méchants,

Et de la calomnie, à sa perte animée,

Ose, en faisant le bien, braver la renommée.

Sûr de plaire à celui qui connaît ses penchants,

        Il dit : « J’aurai ma récompense :

» Témoin de mes combats, le maître que je sers

        » Couronnera mon innocence,

» Et saura me payer des maux que j’ai soufferts. »

 

 

LÉONARD.

 

Recueilli dans Choix de poésies

ou Recueil de morceaux propres à orner la mémoire

et à former le cœur, 1826.

 

 

 

 

 

 

 

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