La source et le secret

 

 

                        à Hélène et Gilbert Prouteau

 

 

                                    1

 

Le ciel s’est renversé

                                    La terre s’est perdue

Fontaine de mes mains

J’ai vu passer des yeux dans l’eau que j’avais bue

À la source des saints.

 

Les oiseaux revenus des anciennes croyances

S’éploient à contre-jour

La source s’est tarie

                                    aux buissons de l’enfance

Les oiseaux n’ont plus cours.

 

Le monde s’est perdu dans la guerre civile

Dans la guerre pour rien

L’homme mène l’esclave au milieu de la ville

Et c’est son frère humain !

 

La nuit cousue d’orties

N’abrite plus le rossignol de nos amours

La nuit

              même la nuit

                                      les oiseaux n’ont plus cours

ainsi que je l’ai dit.

 

 

                                    2

 

Femme de ma ferveur à mon rêve promise

Terre tout enfiévrée

Je te sème

Je te veux féconde et génitrice

Féconde et fiancée.

 

De mes mains

Je t’arrange une fontaine obscure

Où ton visage nu

Reprend les couleurs des vierges venues du Sud.

 

Il suffit de toucher tes bras nus et tes jambes

Et ton ventre et tes seins

Pour trembler d’être né de tes amours ardentes.

 

Si près de toi me voici seul avec mon rêve

Laisse-moi tes genoux

Que je sois cet enfant que l’abîme rejette

Et que l’abîme absout.

 

 

                                    3

 

J’ai pleuré

                   j’ai prié

                                  J’ai revu le village

Que l’on m’avait offert

J’étais seul et le vent tourbillonnait sauvage

Au-dessus de la mer.

 

J’ai crié mes péchés à la face du monde

En cela j’ai menti !

Comment faire tenir et le rêve et le songe

Dans un même délire ?

 

J’ai souffert. J’ai revu au livre de l’enfance

Mes morts et mes amis

Le clocher naviguait au-dessus des grands arbres

Des buissons et des nids

 

Un battoir allumé des fièvres du torrent

Frappe un linge candide

Et je te reconnais entre toutes les femmes

Ô ma mère Marie.

 

 

                                    4

 

L’écolier reconnaît le chant du loriot

Celui de la fauvette

Dans son plumier des scarabées, à son chapeau

Un bouquet de jonquilles.

 

Il ouvre à des chevaux la saison libertaire

De toutes les amours

Les chiens lui font escorte au milieu des fougères

Où s’ensauvent des loups

 

Plus vieux qu’à la veillée la légende les chasse

Dans les marais d’hiver

D’où s’élèvent les cris, les pleurs, les plaintes basses

Des âmes de l’enfer.

 

Une guêpe en soleil captive le regard

De l’enfant buissonnier

Qui décrit à sa mère et les chevaux épars

Et les loups prisonniers

 

Tandis que brave et forte et vaillante à son feu

Elle anime les cendres

D’un monde qui fera sa lessive plus bleue

Plus mauve sa légende.

 

 

                                    5

 

L’enclume frappe clair le ciel qu’elle mesure

La cloche ressuscite un mort à peine né

Monte de ce côté une odeur de salure

De l’autre une prairie embaume tout l’été

Le catéchisme fait de nous des enfants sages

(Mais nous avons volé la cloche du curé !...)

– Vous ferez à genoux le tour de la paroisse

Et vous viendrez cueillir les fruits de mon verger !

Beaux enfants, nous étions tout casqués de lumière

Beaux enfants, nous n’étions pas venus pour mourir !

L’enclume frappe clair le soir qui se déchire

On nous dit que le monde est miracle et matière

Que notre amour partage en des alléluias

Le poisson de la mer le pain de récompense

Il y avait Seigneur au fond de chaque enfance

Un pays fabuleux où l’enfant était roi.

 

 

                                    6

 

Fontaine de mes mains d’où monte la merveille

Entrevue dans les cieux

Cette eau dans la lumière d’une étoile nouvelle

Née d’un rêve joyeux

 

Recommence du monde et l’amour saccagé

Et la paix de ma Bible

Nathanaël s’est endormi sous un pommier

Caïn presse du cidre

 

Rien ne dérangera l’assemblée des oiseaux

Sur le percher des arbres

Par bandes les garçons blessent leurs chalumeaux

Dans l’oreille des filles.

 

C’est un soir d’accordée au village d’enfance

Les parents sont heureux

Les pauvres recevront le pain promis aux anges

Le vin où saigne Dieu.

 

 

                                    7

 

En ce temps-là je voyais Dieu dans une haie

Dans le buisson caché

Je lui parlais d’une source dont le secret

Est vivante clarté

 

Lumière jaillissante

Promise aux joies célestes

Aux musiques d’étoiles

Source de Siloé où plonger l’enfant nu

Délivré de la femme.

 

La source s’est tarie et j’écoute monter

Cette voix inconnue

Qui me parle d’un livre où ma vie a signé

Du sommeil au salut

 

La page de la grâce où les encres rebelles

Se volutent d’amour

Et font un arbre déployé dans les étoiles

De la ferveur autour.

 

 

                                    8

 

La terre ne sait plus la femme à sa lessive

Les poètes s’en vont s’écouter dans les villes

Il y a du silence en suspens ce pays

N’émerge plus du rêve où nous voici tenus

Même paré de fleurs le printemps est refus

Les liserons se nouent

Les orges sont navrante

Même les blés n’ont plus les vertus de naguère

Les soirées sont sans feu

Les hivers sans usage

La neige cependant se vend bien

                                                      les refuges

Ne voient plus les bergers boire dans les étoiles

Il y a quelque chose de fini sur la terre

Mais l’abeille annoncée recommence une ruche.

 

 

                                    9

 

Blondeur de l’eau

                               nudité de l’abîme

Pouvoir d’un chant qui va sa vérité

Si je me tiens à l’écoute des villes

C’est le désert en moi qui veut parler

Tendres brebis éperdues dans l’espace

Agneaux sans tache au Temple destinés

Source, fontaine étoilée dans le sable

Baptême, vie

                       tout ce que j’ai rêvé

Si loin de tout

                         – et c’est en moi l’extase !

 

 

                                   10

 

Jaillit de l’eau le chant d’un autre monde

En celui-ci d’amour recomposé

La nuit vêtue de ferveur et de force

Le jour qui se déchire à volonté

Quelle douceur à l’écoute du ciel

Quand la terre voudrait tout décider

Quelle rigueur entre cantique et psaume

Quand l’encre nue respire le papier.

Je dis amour

Je parle d’un pays

D’arbres votifs, de châteaux, de saisons

Musique d’ombre en les mains du luthier

Mauve prière au temple de raison

Un homme vient nu dans son vêtement

Parle aux oiseaux

Enseigne les enfants

De Gelboë s’en retourne à Moab

Qui l’aura vu en ces jours imagine

Le pain vivant qui de Noël à Pâques

Nous rassasie depuis les origines.

 

 

                                   11

 

Pierres de feu

                        fournaise en forme d’éboulis

J’écoute le désert

Du Nord je suis venu aux sables d’un pays

Usé par la poussière.

 

Toujours du Nord au Sud je cherche le secret

De ces peuples nomades

Qui poussent des troupeaux étiques vers la paix

Puisée dans l’Ecclésiaste.

 

Terre de Galilée à mon âme si douce

Si douce à mon esprit

Que le monde est festin pour celui qui retrouve

Le chemin d’infini

 

Qui mène vers Sychar – fontaine effervescente –

Où plonger chaque enfant

Qui vagit dans la nuit et toujours se lamente

D’émerger du néant.

 

 

                                   12

 

Voici le chevrier dans sa nudité noire

Et voici le corbeau

Qui nourrit au désert le prophète notoire

Sorti de son tombeau.

 

Le matin on peut voir sous l’olivier candide

Le voile du dormeur

Des sonnailles d’agneaux agenouillent les fils

De ces anciens pasteurs

 

Qui bénissaient le ciel de leur donner pitance

Et de marcher toujours

Vers l’étoile promise aux enfants de l’errance

Qui sont riches d’amour

 

Et qui de la solitude vers le silence

Comptent sans distinguer

Les pierres de la faute et de la repentance

De l’éternel été.

 

 

                                   13

 

Poissons tumultueux des eaux de Tibériade

Colombes du Jourdain

J’ai tout le Testament de Dieu dans ma mansarde

Et son rêve divin.

 

Aux pages de l’amour longuement je m’attarde

Et je vous vois Marie

Comme une fiancée au royaume des bardes

Voilée de modestie.

 

Vous êtes ma prison ouverte et ma droiture

Et mon étoile d’or

Le principe, le verbe et la poésie pure

Vous êtes le trésor

 

Que le ciel et la mer maintenant se partagent

Jusqu’à la fin des temps

Et vous êtes la reine étoilée du langage

Par le signe du sang.

 

 

 

Charles LE QUINTREC.

 

Recueilli dans L’atelier imaginaire,

Poèmes et réflexions, L’Âge d’Homme, 1989.

 

 

 

 

 

 

 

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