La Saint-Jean d’été

 

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

Tout est lumière et beauté ;

Adieu la saison jolie

De printemps et de folie,

Place à la virilité.

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

L’herbe est à maturité,

Faulx et fourches étincellent,

Tout le jour les fronts ruissellent.

– À boire, par charité.

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

De l’épi, déjà monté,

Sort un parfum de farine

Qui chatouille la narine,

Dieu nous serve à grand planté !

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

Les fleurs perdent leur fierté ;

En attendant qu’on le cueille,

Par la sève sous la feuille

Le fruit vert est tourmenté ;

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

Un fruit !... un autre à côté...

J’en vois cent. Pommier modèle,

Dieu sauve l’âme fidèle

De l’aïeul qui t’a planté !

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

Au fond du nid respecté,

En recevant la bêchée,

La gazouillante nichée

Aspire à la liberté.

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

Le soir n’est plus attristé,

Les hiboux, galants funèbres,

Roucoulent dans les ténèbres,

Les hiboux sont en gaieté.

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

Le long du sentier hanté,

La luciole amoureuse

Dans la mousse vigoureuse

Pique sa tendre clarté.

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

À l’aube, un coq est monté

Sur le mur du cimetière ;

La nature tout entière

Chante sa fécondité.

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

                        ___

 

Voici la Saint-Jean d’été,

Au fond du bois redouté

Allons par la nuit clémente

Pour cueillir l’herbe où fermente

La malice ou la santé.

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

Allons, le temps est compté,

Prenons l’heure que Dieu donne,

Et prions qu’il nous pardonne

Notre curiosité.

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

Sans trop de sévérité,

Qu’il dirige et qu’il écoute

Ceux qui flânent sur la route

Qui mène à la vérité.

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

Gloire à la paternité,

Et si le fils et la fille

Gardent l’honneur de famille,

Joie à la postérité !

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

Grâce pour l’enfant gâté,

Orgueil et souci des mères ;

Dieu, pardonnez leurs chimères,

Paix à la maternité.

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

Grand Dieu, que votre bonté

Avec votre amour conspire,

Car vous ne pouvez plus dire

À la vieille humanité :

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

Elle est vieille en vérité

Et si faible que l’aïeule

Ne peut, hélas ! toute seule,

Vaincre son infirmité.

 

Adieu, la Saint-Jean d’été.

 

Sans l’avoir trop mérité,

Il faut que Dieu la conduise

Par la main et qu’il lui dise

Au seuil de l’éternité :

 

Voici la Saint-Jean d’été.

 

 

 

Gustave LE VAVASSEUR, juin 1894.

 

Paru dans les Mémoires de l’Académie nationale

des sciences, arts et belles-lettres de Caen en 1894.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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