Le soir

 

                                                    À M. MÉNIER

 

 

Quand du soleil couchant s’affaiblit la lumière,

J’aime, après mon travail et le repas du soir,

M’éloigner quelque peu de mon humble chaumière

Et sur l’herbe encor chaude, une heure, aller m’asseoir.

 

Et cette heure est pour moi d’un long jour la plus belle,

Celle où je puis penser, du moins en liberté ;

Là, mon être grandit, ma foi se renouvelle,

Et le calme renaît dans mon cœur agité ;

 

Jusqu’à Dieu qui me voit j’élève ma pensée ;

C’est l’instant où je prie et ce n’est pas en vain :

Combien de fois j’ai vu ma prière exaucée,

Et l’espoir, doux rayon, descendre dans mon sein !

 

Dieu me tendit la main dans mes jours de détresse,

Releva mon courage au lieu de l’émousser ;

Et s’il n’a pas voulu m’accorder la richesse,

C’est par lui que j’apprends du moins à m’en passer.

 

C’est lui qui m’inspira, bien plutôt que ma muse,

Les chants qui m’ont valu de nombreux protecteurs ;

Je dois à sa bonté, dont jamais je n’abuse,

Un peu de renommée et des succès flatteurs.

 

Et pourtant qu’ai-je fait ? j’ai chanté mon village,

Ma navette, et surtout mes premières amours ;

J’ai chanté les plaisirs qu’on éprouve au bel âge ;

Ils sont bien loin de moi, je m’en souviens toujours.

 

Je n’ai pas mis en vers d’étranges rêveries ;

Faut-il pour divaguer se creuser le cerveau ?

Simples, comme le sont les fleurs de nos prairies,

Mes chants, vous le savez, n’offrent rien de nouveau.

 

La beauté bien souvent nous charme sans parure,

Elle n’a pas besoin d’un éclat emprunté.

Le poète inspiré par la sainte nature

Captive quelquefois par sa simplicité.

 

– Mais c’est trop m’oublier, et j’ai dépassé l’heure ;

Seuls, quelques vers luisants éclairent mon chemin ;

Ma femme qui m’attend s’ennuie en ma demeure ;

Ma chère solitude, adieu jusqu’à demain.

 

 

 

MAGU, Poésies de Magu, tisserand, 1846.

 

 

 

 

 

 

 

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