Nocturne

 

 

Beau cheval apeuré dans ce pré légendaire

Et mon ombre en passant a troublé les images

D’un monde vaste et redoutable où tu es seul

Pacifique habitant du silence nocturne

Délicat et tremblant et fuyant sous les arbres

Reviens cheval charmant vers mes yeux sans défense

J’ai parcouru ce soir les chemins de mes rêves

Mon visage est baigné de lumière et de pluie

En mon cœur s’étendra ta figure pâlie

Discrète créature ô forme des chimères.

 

– J’ai eu peur j’ai couru sur la mousse légère

Quand ton ombre en passant a touché mes naseaux

À l’abri sous cet arbre à travers le feuillage

Je te vois à présent plus frêle qu’un roseau

Ton visage est baigné de pleurs et de lumière

Tes lèvres ont tremblé d’un appel incertain

Vers une créature et vers quelque mystère

Et dans la nuit s’est répandu ton chant humain.

 

J’aspirerai ta douce et patiente complainte

Ô voix qui enveloppe et dit toute la plainte

Les cris et les soupirs de la Création

Et qui sait appeler les bêtes par leur nom.

 

 

 

Raïssa MARITAIN, Les Îles.

 

Paru dans La Relève en 1940.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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