Le sourire maternel

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

MARJOLAINE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IL y a de cela bien des mois, une jeune femme m’écrivait une lettre exquise de laquelle se dégageait un parfum de bonté et de générosité qui vint mettre un rayon délicieux dans mon courrier.

Je savourai les pages qui me révélaient l’âme charmante de cette correspondante inconnue, en me découvrant la sagesse et la profondeur des idées qui élargissaient son horizon et haussaient son cœur. J’admirai l’ambition de cette jeune maman qui voulait tracer à ses fils un sillon lumineux à travers les ronces de la vie, pour que sa pure clarté les garde dans le droit chemin. Puis, comme je le fais toujours, je déchirai la lettre.

Mais la beauté de ce cœur de femme, qu’auréolait le sublime amour maternel, se grava profondément dans mon souvenir. Et, depuis, à la moindre, occasion, je vois toujours devant mes yeux le rayonnement de cette âme forte, montée si haut dans l’amour de son devoir que, pour accomplir généreusement sa mission, elle s’est identifiée à son but, à ses exigences, à ses responsabilités, et cela, si parfaitement, qu’ils sont devenus son univers et comme l’aliment de sa vie.

Pour se faire éducatrice, elle s’est faite imitatrice ; et puisque sainte Monique a ouvert la voie à l’héroïsme maternel dont elle personnifie la force dans la douleur, elle en fait son modèle. Elle s’attache surtout à la signification de ce trait admirable de la vie de la mère de saint Augustin : Alors que celui-ci n’était pas encore converti, Monique avait rêvé qu’elle était sur un même niveau que son fils. Elle raconta son rêve à Augustin, et lui de répondre : « Vois-tu, maman, tu dois venir me rejoindre, tu vas venir à mes idées. » Elle, tournant la tête, lui dit : « Non, mon fils, je ne descendrai pas jusqu’à toi, c’est toi qui dois venir jusqu’à moi. »

Cette parole, qui pénétra jusqu’au cœur d’Augustin, qui devint sa hantise jusqu’à sa conversion et qui fit monter le fils jusqu’à sa mère, est, pour ma correspondante, comme la lumière d’un phare puissant qui brille dans les ténèbres. Elle est l’enseignement qui lui donne la force de vouloir même la souffrance. Car, pour faire des hommes de leurs fils, pour tremper leur caractère, pour diriger leur volonté et les garder dans une atmosphère saine, « il faut aux mères, dit-elle, de la fermeté cachée sous des sourires et toute l’abnégation que commande le vieux proverbe anglais : Even if it hurts, smile. »

Oui, sourire quand même, que le cœur saigne ou qu’il soit en joie ! Le sourire maternel est le soleil du foyer et le bonheur des enfants, mais pour le garder sur leurs lèvres tremblantes quand les difficultés de la vie opposent leurs obstacles à leurs efforts ou les écrasent de leurs poids lourds, les mères ont besoin de regarder sans cesse la grandeur de leurs devoirs, d’en faire leur guide, afin d’empêcher que leurs enfants ne « soient empoisonnés par le grand mensonge social » sur lequel pivote le monde.

Le sourire maternel, tout de douceur grave et de ferme droiture, est, pour les enfants, un initiateur à l’énergie morale qui doit soutenir le courage en face des douloureux problèmes de la vie. Il est le rayon qui jaillit d’un incomparable foyer de tendresse et qui, par les routes larges ou étroites, embroussaillées ou fleuries, par les sentiers obscurs ou clairs, aux bruits de la tempête ou aux murmures de la brise, offre toujours le scintillement de sa lueur d’or.

Le sourire maternel est comme une impulsion donnée aux mouvements généreux, aux sentiments élevés. Il est la lumière très douce qui éclaire le but de la vie et en fait comprendre aux enfants la précieuse valeur. Mais ce sourire est souvent fait de larmes et de sanglots, d’inquiétudes et de sacrifices ; et pour ciseler les cœurs et tremper les caractères, il doit vaillamment résister aux tempêtes, subir l’assaut des luttes, traverser les épreuves, supporter les soucis et accepter la douleur. Il doit se donner toujours, venir d’un cœur qui s’immole et s’oublie en prodiguant des trésors de tendresse et d’indulgence, afin d’en faire ressortir la beauté et la grandeur.

Qu’on ne dise pas que notre siècle ne permet pas l’éclosion des grands sentiments et qu’on n’a plus le temps de s’occuper de l’éducation familiale. Les sentiments élevés ne s’épanouissent peut-être pas à profusion, étouffés qu’ils sont par l’affreux égotisme qui ronge les plus belles qualités et affaiblit les volontés. Mais il y a encore, de par le monde, beaucoup de mères saintement bonnes qui savent faire monter leurs fils jusqu’à elles.

Il y a encore des mères qui font lever des moissons ensoleillées dans des cœurs pétris de bonté et de générosité, dans des cœurs attachés au sillon lumineux du doux sourire maternel et qui, guidés par lui, s’élèvent toujours plus haut dans le sentiment de l’Honneur et du Devoir.

 

 

MARJOLAINE, Gerbes d’automne, 1928.

 

 

 

 

 

 

 

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