L’église de Brou

 

 

Je reviens de bien loin. Mon bâton de voyage,

Mon sac de pèlerin ont touché maint rivage ;

J’ai vu les dômes d’Ulm, d’Anvers et de Strasbourg,

Notre-Dame à Paris, Saint-Gengoul à Bruxelle,

Saint-Étienne en Autriche, et Cologne la belle ;

Mais je reviens à toi, douce église de Brou.

 

Là bas, l’art est plus grand, il étonne, il élève,

Mais il repose ici. C’est un chaste et beau rêve,

Avec ses ailes d’or, qui passe sous nos yeux.

C’est un chant plein de grâce où se berce notre âme,

Un caprice de fée, un ouvrage de femme

Qui veut que son amour soit béni par les cieux.

 

Ah ! que je plains encore, ô noble Marguerite,

Vos douleurs, quand un roi se parjure et vous quitte,

Et quand votre nacelle errante sur les mers

Vous emporte au milieu des vents et des orages,

Comme votre pensée en de sombres images,

Vous emporte chantant de doux et tristes vers.

 

Puis vous voici renaître à la vie, à la joie,

Fière de votre époux, duchesse de Savoie,

Et puis, veuve pleurant encor sur un tombeau,

Et dévouant votre âme aux soins de cette église,

Et retraçant avec votre amère devise

Votre nom et celui de Philippe-le-Beau !

 

Est-ce une main d’artiste ? est-ce une filandière

Qui posa là ces fûts et broda sur la pierre

Ces feuilles, ces rameaux au gracieux contour ?

Le temps n’ose y toucher et l’agile hirondelle

En visitant son nid réchauffe sous son aile

Ces guirlandes de fleurs et ces chiffres d’amour.

 

J’entre dans cette église où règne le silence ;

La voûte en fûts légers sur ma tête s’élance,

Et le recueillement vient s’emparer de moi.

Mais quel est ce rideau de marbre qui s’abaisse,

Et jette sur la nef une ombre de tristesse.

Et pourtant fait rêver et d’amour et de foi ?

 

Que cache-t-il là bas ? Est-ce un pieux mystère ?

Un rêve de prophète ignoré de la terre,

Une extase, un chant saint ? Non, ce sont des tombeaux.

Les deux époux se sont rejoints sous cette voûte ;

ils reviennent à Dieu fatigués de leur route,

Et Dieu leur a prêté ces paisibles arceaux.

 

Là, Marguerite dort et si calme et si belle

Sur ce marbre brodé comme de la dentelle,

Et son front se colore aux rayons du soleil,

Et tout auprès, avec son armure de guerre,

Repose son époux, et puis leur vieille mère,

Qui semble avoir voulu protéger leur sommeil.

 

Sur eux, pour les garder, de beaux anges se penchent ;

Sur leurs fronts des flots purs de lumière s’épanchent,

Et l’étranger s’en vient, en ployant le genou,

Visiter ces tombeaux d’amour pur et fidèle,

Et mêle en sa prière où son cœur se révèle

Marguerite d’Autriche et la vierge de Brou.

 

Oh ! la religion du Christ est infinie ;

C’est la source de l’art, le flambeau du génie ;

Par elle nous avons tous été ranimés ;

Les malheureux sans cesse y trouvent un asile,

Et Dieu donne un refuge, un refuge tranquille

Aux cœurs pieux et vrais qui se sont bien aimés.

 

 

 

Xavier MARMIER.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1835.

 

 

 

 

 

 

 

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