Veillée

 

 

Entre comme autrefois. Tu vis encor. La cendre

Chaude attire tes mains où ne luit pas d’anneau.

Tes yeux ont le silence et le sommeil de l’eau

– Ô toi qui te taisais pour que l’on pût t’entendre...

 

Tes lourds souliers au feu fument d’un long chemin,

Mais sur ton front rayonne une paix éternelle,

Et tu goûtes, au soir des combats inhumains,

L’anéantissement près de mon cœur fidèle.

 

Mon ami que mes mains n’ont pas enseveli,

Je fuis dans tes regards l’immense hiver funèbre

Et tous les corps vivants ou morts que cette nuit

Enveloppe de froid, de pluie et de ténèbre.

 

Une heure délaissant les martyrs, à travers

Les branches du passé touffu, mon cœur s’avance

Sur l’allée, au midi, quand les brusques piverts

S’éloignaient dans le bois en blessant le silence.

 

L’odeur de ce matin où tu étais vivant

Remonte d’un passé de songe et de faiblesse.

Les cloches des coteaux se mêlaient dans le vent,

Ma mère revenait de la première messe.

 

La houle qui berça mes voyages d’antan

Savait moins consoler ma souffrante insomnie

Que celle qui gonflait ta poitrine endormie,

Ô dormeur étendu dans l’herbe du printemps !

 

Ce soir reflue en moi où tu étais vivant.

Les feux de la Saint-Jean étoilaient les collines.

Le sang ne souillait pas de clairs cheveux d’enfants.

L’hiver ne glaçait pas d’immobiles poitrines.

 

Au retour des chemins où nous ne causions plus,

Tu dénombrais au ciel les astres, tes royaumes.

Un bouvier presque enfant passait, d’ombre vêtu :

Comme ils étaient vivants encor, les jeunes hommes !

 

Comme vous vous leviez, fronts ce soir confondus

Dans l’argile d’où votre odeur s’élève et rôde...

C’était l’époque où l’août sur les provinces chaudes

Tend ses ciels traversés de bolides perdus.

 

Mon enfant, ton silence emplit ce soir l’espace.

Ce calme en moi, c’est bien ton éternelle paix.

Que la fenêtre est vide où ton corps se penchait !

Et pourtant tu es là, silencieuse Face.

 

Ainsi nous poursuivons cette étrange veillée,

Loin d’un monde à jamais souillé du sang d’Abel.

Je ne t’arrache pas à ton songe éternel.

Tu ne regardes rien, hors mes lèvres scellées,

 

Jusqu’à ce que, tremblant de vertige et d’effroi,

Surgissant de ma couche au brusque appel du Père,

J’apparaisse souillé et nu dans ta lumière,

Ô mort ! et me découvre aussi vivant que Toi.

 

 

 

François MAURIAC.

 

Paru dans Revue des Jeunes, 25 septembre 1917.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net