Mon âme, il faut partir...

 

 

                              I

 

Mon âme, il faut partir. Ma vigueur est passée,

    Mon dernier jour est dessus l’horizon.

Tu crains ta liberté. Quoi ? n’es-tu pas lassée

    D’avoir souffert soixante ans de prison ?

 

Tes désordres sont grands. Tes vertus sont petites,

    Parmi tes maux on trouve peu de bien.

Mais si le bon Jésus te donne ses mérites,

    Espère tout et n’appréhende rien.

 

Mon âme, repens-toi d’avoir aimé le monde,

    Et de mes yeux fais la source d’une onde

Qui touche de pitié le monarque des rois.

 

    Que tu serais courageuse et ravie

Si j’avais soupiré durant toute ma vie

    Dans le désert sous l’ombre de la Croix !

 

 

                              II

 

Je suis dans le penchant de mon âge de glace.

Mon âme se détache et va laisser mon corps

En cette extrémité, que faut-il que je fasse

Pour entrer sans frayeur dans la terre des morts ?

 

J’ai flatté les puissants, j’ai plâtré leurs malices,

J’ai fait de mes péchés mes uniques plaisirs,

Je me suis tout entier plongé dans mes délices,

Et les biens passagers ont été mes désirs ;

 

Tout espoir de salut me semble illégitime ;

Je suis persécuté de l’horreur de mon crime,

Et son affreuse image est toujours devant moi.

 

Mais, ô mon doux Sauveur, que mon âme est confuse !

Que je suis faiblement assisté de ma foi !

Rends-tu pas innocent le pécheur qui s’accuse ?

 

 

                              III

 

À tort on m’a blâmé de redouter la mort :

Je trouve cette crainte et juste et naturelle ;

Contre cette effroyable il n’est rien d’assez fort,

Et le Sauveur du monde a sué devant elle.

 

Il semble à mon esprit plein de feux et de fers,

Qu’il est déjà tombé sous l’horreur des supplices,

Et que, pour me loger au plus bas des enfers,

Il se découvrira de nouveaux précipices.

 

En ce dernier moment qui doit borner mes jours,

Que ferai-je, ô Seigneur, si tu ne me secours,

Dissipant les frayeurs qui naissent de mes crimes ?

 

Promets de me conduire à la gloire des cieux,

Et la mort qui m’appelle au rang de ses victimes,

Tout horrible qu’elle est, sera belle à mes yeux.

 

 

 

François MAYNARD.

 

Recueilli dans Poètes de Jésus-Christ,

poésies rassemblées par André Mabille de Poncheville,

Bruges, Librairie de l’Œuvre Saint-Charles, 1937.

 

 

 

 

 

 

 

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