Prière du matin

 

FRAGMENT

 

 

Seigneur favorable au cœur qui t’honore,

Féconde en ce jour mon labeur sonore.

 

Donne-moi d’avoir un Penser nouveau

Né sans souvenir en mon seul cerveau.

 

Veuille qu’il soit pur, fier, loyal, utile,

Comme l’eau de source et comme un beau style ;

 

Que sans rien de vil ni rien d’étranger

Il s’égale au lys qui vient d’émerger ;

 

Qu’éternel et neuf comme l’aube brève

Il soit fait d’amour et soit fait de rêve ;

 

Qu’il soit à la fois simple et triomphant

Comme un ange et comme un petit enfant ;

 

Et qu’il verse à tous sans feinte ni leurre

L’espoir de la vie en l’oubli de l’heure.

 

Dieu ! permets aussi que l’Art noble et sain

Et subtil achève en moi son dessein.

 

Dépars la vigueur à ma main d’artiste

De sertir dans l’or vierge l’améthyste ;

 

Puisque la splendeur d’un juste ornement

Aide à l’éclat du penser-diamant,

 

Accorde à mon vers les orfèvreries

Des rares métaux et des pierreries,

 

Afin qu’il soit l’un des joyaux de prix

Dont se parera l’orgueil des esprits !

 

Mais ne permets point que mes efforts lâches

Cèdent à l’attrait des faciles tâches ;

 

Car il n’est poème au parfait aloi

Qui ne soit la fleur d’une stricte loi,

 

Car même le vol infini de l’aigle

Suit à travers cieux l’orbe d’une règle !

 

Et je veux que l’œuvre où j’ai mis pour nous,

Frère, une fierté de rêve à genoux,

 

Offre aux pèlerins des parvis du temple

Un enchantement qui soit un exemple.

 

 

 

Catulle MENDÈS, Les Braises du cendrier.

 

 

 

 

 

 

 

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