La montagne au Christ

 

 

Vous serez bien ici. La montagne vous aime.

N’avez-vous pas daigné, Seigneur, l’aimer vous-même ?

 

Jadis, lorsque les soirs hébreux vous trouvaient las,

Las des labeurs du jour parmi la foule humaine,

Las de prêcher l’amour à ceux qui n’aimaient pas,

Las d’opposer en vain les bienfaits à la haine,

 

Pour goûter le silence et dire pleinement,

Et tout bas, votre cœur à l’oreille du Père,

Lorsque la paix des nuits gagnait le firmament,

Vous aimiez à gravir quelque montagne austère.

 

Vous preniez son sommet désert pour escabeau,

Et sous vos pas divins, dans sa masse profonde,

Un émoi s’éveillait mystérieux et beau

Qui se communiquait aux racines du monde.

 

Vous aimiez la montagne et vous avez voulu

Qu’elle participât à votre sacrifice :

Elle a reçu la Croix dont votre sang a plu,

Elle a de votre corps élevé le calice.

 

Et lorsqu’ayant rompu les portes de la mort

Vous avez regagné votre gloire première,

Ô Christ, c’est sur le front d’une montagne encor

Que vos pieds ont empreint leurs traces de lumière.

 

Vous serez bien ici, Seigneur. Nous vous aimons

Comme vous ont aimé nos sœurs évangéliques.

Demeurez parmi nous, et bénissez les monts

Dont vous voyez fleurir les blanches basiliques.

 

Gloire à vous au plus haut des Alpes ! Hosannah

Au Christ-Roi qui pour trône accepte notre cime !

Des trésors dont sa main prodigue nous orna,

      Qu’il reçoive un tribut opime !

 

            À vous, Seigneur, la majesté

            Dont se vêtent ces altitudes !

            À vous l’immense pureté

            Que défendent nos solitudes !

 

            À vous le soir étincelant,

            À vous la nuit aux chastes voiles,

            À vous le grand silence blanc

            Que nous gardons sous les étoiles !

 

            À vous les jardins radieux

            Interdits aux traces mortelles

            Et qui réservent à nos yeux

            Les lis des neiges éternelles !

 

            À vous les éclairs, rouges fleurs

            Qu’épanouissent les tempêtes !

            À vous le nimbe aux sept couleurs

            Dont l’arc-en-ciel sacre nos têtes !

 

            À vous les levers de soleil

            Dont le baiser d’or nous caresse !

            À vous, Seigneur, l’adieu vermeil

            Que le crépuscule nous laisse !

 

            À vous les bons, à vous les chocs,

            À vous le fracas des cascades

            Qui, parmi le chaos des rocs,

            Précipitent leurs cavalcades !

 

            À vous le glacier éclatant !

            À vous le miroir infrangible

            Que son cristal splendide tend

            Au visage de l’Invisible !

 

Daignez prendre ces monts, ô Christ, pour reposoir.

Ils sont graves et purs, et leur cime avoisine

De si près le pays des élus qu’on peut voir

Luire d’ici les toits de la Cité divine.

 

D’ici vous entendrez bruire les essaims

Des constellations dont le zénith flamboie,

Et retentir les chœurs des anges et des saints

Immergés dans les flots de l’éternelle joie.

 

Mais vous écouterez aussi de ces sommets

La rumeur discordante, et plaintive, et vivace,

Dont l’univers humain ne s’arrête jamais

D’offenser le silence où se complaît l’espace.

 

Comme au jour qui vous vit multiplier le pain,

Vous prendrez en pitié la multitude amère

Qui ne sait même pas quelle est la grande faim

Qui fait gémir ainsi la face de la terre.

 

Vous serez secourable à ce monde penchant,

Qui, lourd des morts sans nombre entassés dans sa cale,

S’en va, désemparé, sans boussole, cherchant

À travers l’ombre aveugle une impossible escale.

 

Les passagers tournoient affolés sur le pont ;

L’équipage s’épuise en confuses manœuvres ;

Pilotes et marins ne savent ce qu’ils font.

Et l’abîme autour d’eux fait siffler ses couleuvres.

Les vents sont en démence, et jusqu’au pied des mâts

La vague vient flairer le butin qu’elle espère...

– Ah ! du navire humain ne vous détournez pas,

Seigneur, et commandez à la mer de se taire !

 

 

 

Louis MERCIER.

 

Recueilli dans Poètes de Jésus-Christ,

poésies rassemblées par André Mabille de Poncheville,

Bruges, Librairie de l’Œuvre Saint-Charles, 1937.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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