L’église des vents

 

 

                                          I

 

Jadis, sur ce sommet impraticable aux socs,

Les vents tenaient leur camp et se livraient bataille ;

Tumultueux, rués en d’invisibles chocs,

Ils brûlaient l’herbe rare et roulaient les pierrailles.

 

Mais un homme est venu qui, muni de l’équerre,

Et du compas, et du fil à plomb, ajouta

La puissance du rythme aux forces de la pierre,

Bâtit le mur, tendit Parc de voûte, et planta,

 

Massive, inébranlable, opposant aux tempêtes

Le quadruple éperon de ses quatre angles droits,

La tour, la haute tour de granit, dont le faîte

Trace contre le ciel un grand signe de croix.

 

Indignés de l’obstacle, et ligués pour l’abattre,

Les vents ont convoqué leurs hordes de partout,

Et l’église a subi l’assaut opiniâtre

De leurs béliers battant sa muraille à grands coups.

 

 

                                         II

 

Tous les noirs ouragans qui sous le ciel divaguent,

Tous les vents qui, d’un bout à l’autre des saisons,

Autour de l’univers entrechoquent leurs vagues :

Grand vent d’ouest, apportant du fond des horizons

La fraîcheur de la houle et ses odeurs salées ;

Vent du midi, démon haletant des déserts,

Qui dessèche les puits et boit l’eau des vallées ;

Bise des steppes blancs, souffles des icebergs,

Vent du nord, vieux berger des pôles, qui pourchasse

Les moutons de la neige hors de leurs bercails froids ;

Vent d’automne, pêcheur qui traîne dans sa nasse,

Comme des poissons d’or, les feuillages des bois ;

Vent d’été qui, soufflant dans la forge des nues,

Attise les brasiers où le tonnerre dort ;

Vent d’avril qui surprend la terre toute nue,

Esprit de volupté, dieu farouche, dieu fort,

Qui fait frémir les jours d’une ardeur inconnue ;

Tous en un vain concert ont usé leur effort

Pour arracher du sol où la foi l’enracine

Le monument sacré que porte la colline.

 

 

                                        III

 

Mais l’incessant combat par ses murs affronté,

Et les autans jaloux acharnés à lui nuire,

Mieux que les doigts humains, ont parfait sa beauté.

 

Son granit fut poli par leur souffle en délire ;

Elle leur doit l’aspect guerrier de ses contours,

Et l’intrépidité que sa forme respire.

 

C’est à leur résister que ses contreforts lourds

Se sont unis au sol d’un poids plus volontaire ;

C’est pour défier mieux leur prise que sa tour,

 

S’assurant sur ses pieds enfoncés dans la terre,

Précède un peu l’abside, et penchée en avant,

Comme un lutteur hardi qui cherche l’adversaire,

 

Tend sa dure poitrine aux premiers coups de vent.

 

 

                                        IV

 

Et l’église a courbé sous son obéissance

L’aveugle emportement des vents, et la licence

                De leurs ébats dévastateurs ;

Maintenant à ses pieds les ouragans farouches,

Grondants mais subjugués, comme des chiens, se couchent ;

                Contraints d’être ses serviteurs,

 

Selon sa volonté, les aquilons sauvages

Répètent sa parole, et portent ses messages ;

                Son carillon victorieux

Emplit le firmament de voix plus triomphales

Parce qu’il associe aux clameurs des rafales

                Les cantiques qu’il jette à Dieu.

 

Les vents, contre leur gré, mêlent à ses louanges

Leur colère sonore et leurs fracas étranges ;

                Comme Balaam, autrefois,

Dut proférer l’hommage en voulant l’anathème,

Les vents, gros de révolte et gonflés de blasphèmes,

                Confessent à grands cris la foi !

 

 

                                        V

 

Nul ne prête à l’église une voix plus profonde

Que toi, vent du printemps, vent qui donnes au monde

Le signal frémissant des résurrections ;

Toi qui fais bouillonner la jeunesse des sèves,

Et par qui l’univers endormi sent ses rêves

Se pénétrer d’aurore et s’emplir de rayons.

 

Oh ! quand ton vol ardent frappe ces pierres grises,

Je sais, vent surhumain, ce que tu prophétises,

J’entends les mots confus que tu vas mugissant.

Tu dis : « Un jour viendra que la terre secrète

Sentira s’éveiller sous ma tiède tempête

Quelque chose de plus splendide qu’à présent.

 

« En ce temps-là, plus fort que celui dont j’enivre

Les plantes et les fleurs avides de revivre,

Mon souffle régnera sous un soleil plus beau :

Ce sera le printemps qui des vieilles poussières

Fera surgir, les bras tendus vers la lumière,

Et vivants, tous les morts qu’enferment les tombeaux.

 

« Ce sera, cette fois, toute la flore humaine,

Qui s’épanouira, formidable et soudaine ;

Il passera sur terre un long chuchotement,

Comme les bois essaient, en avril, leur feuillage,

Les hommes essaieront leurs lèvres au langage,

N’osant pas parler haut dans le premier moment.

 

« Pâles, ivres de l’air que leur poitrine aspire,

Tels que des passagers sur le pont d’un navire,

Ils iront titubant, les pieds lourds de sommeil,

Les doigts ouverts au jour, et cherchant à le prendre,

Et leurs yeux, leurs yeux pleins encor d’ombre et de cendre,

Seront hagards de joie en voyant le soleil ! »

 

 

 

Louis MERCIER.

 

Publié dans la Revue hebdomadaire,

14 juin 1913.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie catholique

de Villon jusqu’à nos jours, publiée et annotée

par Robert Vallery-Radot, Georges Grès & Cie, 1916.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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