La chanson du feuillage

 

 

Je suis la riante couronne,

Le voile frais et parfumé

Dont le front des bois s’environne

Aux rayons du soleil de mai.

 

Je suis la verte chevelure

Qui, sur les branchages mouvants,

Se joue, ondoyante parure,

Aux caprices ailés des vents

 

Avec moins de charme et de grâce

Flottent, sur un cou virginal,

Les longues tresses où s’enlace

La fleur de l’hymen ou du bal

 

Dans mes roseaux, lyre sonore

Qui s’anime au souffle des airs

Les voix du soir et de l’aurore

S’exhalent en divins concerts

 

Qu’ils sont enchanteurs les murmures

Que je chuchote à peut bruit,

Alors qu’à travers les ramures

La brise voltige et s’enfuit !...

 

Non, Philomèle qui soupire

Sa romance au tomber du jour

Et dont chaque note respire

La mélancolie et l’amour,

 

Ne fait pas, à sa voix touchante

Vibrer de plus charmants échos

Que le rameau touffu qui chante

Au vent du soir avec les eaux.

 

Tantôt ces rumeurs étouffées,

Ces frémissements passagers

Rappellent la ronde des fées,

Ou le vol des sylphes légers ;

 

Tantôt à l’oreille attentive,

On dirait le faible soupir

D’une ombre affligée et craintive

Qui sollicite un souvenir

 

Et quelle puissante harmonie

Sort des chênes ou des sapins

Balançant leur plainte infinie,

Pareille au bruit des flots lointains !

 

À ce roulis qui se prolonge

Et résonne avec majesté,

L’âme se recueille et se plonge

Dans des rêves d’immensité

 

Je suis le mobile feuillage

Qui, sur l’onde au limpide azur,

Jette ses mystères d’ombrage

Comme un voile sur un front pur

 

J’arrondis en voûtes discrètes

Les berceaux gracieux et frais,

Dômes riants, calmes retraites,

Vertes alcôves des forêts...

 

De ses pleurs l’aube printanière

Me verse l’humide trésor,

Perles d’argent que la lumière

Métamorphose en perles d’or.

 

Mol essaim, troupe blanche et douce,

Les songes d’or, sous mes arceaux,

Se bercent en des nids de mousse

À côté du nid des oiseaux.

 

De mes éventails de verdure

Pleut une sereine douceur,

Qui rend l’allégresse plus pure

Et moins amère la douleur.....

 

Et la divine poésie,

Manne enchanteresse du ciel,

En pures gouttes d’ambroisie,

Pend aux rameaux avec le miel !...

 

Au printemps, je suis d’un vert tendre ;

L’été vient hâler ma couleur ;

La pâle automne me fait prendre

Les mille tons de sa pâleur.....

 

Et l’hiver, de sa froide haleine,

Bien loin des bois découronnés,

Disperse et chasse dans la plaine

Mes débris errants et fanés.

 

Homme ! en moi tu trouves l’image

De ton éphémère destin.....

Ainsi qu’une oasis d’ombrage,

Ta vie est belle à son matin ;

 

Elle rit aux saisons fertiles.....

Puis viennent l’automne et l’hiver

Effeuillant ses rameaux débiles

Au sentier de débris couvert.....

 

Et la dernière feuille tombe

De la couronne de tes jours.....

C’en est fait !... le vent de la tombe

Te touche et t’abat pour toujours !.....

 

Ainsi l’homme, ainsi le feuillage

Jonchent ensemble le chemin,

Emportés au souffle de l’âge,

Hélas ! entre hier et demain !

 

Mais bientôt avril, à la terre,

Va rendre ses verts ornements,

Aux bois leurs tranquilles mystères,

Aux doux nids leurs abris charmants.....

 

Et de nouveau, sur la feuillée,

Mille reflets vont resplendir.....

Tandis que ta vie effeuillée,

Ô mortel ! ne peut reverdir !.....

 

 

Gabriel MONAVON.

 

Paru dans La Muse des familles en 1857.

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net