L’hiver

 

 

Quand s’avance l’hiver, quand nous voyons le givre

Briller étincelant aux branches suspendu,

Et que la terre en deuil ne semble pas survivre

À la mort de ses fleurs, à son soleil perdu ;

 

Quand la montagne au loin de neige est recouverte,

Que le ciel est tout gris, que l’âpre vent glacé

Vient souffler et gémir dans la plaine déserte

Ou dans un froid réduit par le temps crevassé ;

 

Quand un père languit dans l’affreuse misère

N’ayant qu’un dur grabat recouvert de haillons,

Pour coucher ses enfants, venez, grands de la terre,

Voyez du désespoir les puissants aiguillons.

 

Là, soufflant dans ses doigts pour reprendre courage,

L’homme voit son travail, qui devrait subvenir,

Aux plus pressants besoins de son pauvre ménage,

À peine à sa famille empêcher de mourir.

 

Pour ses pauvres enfants jamais de friandises,

Jamais un seul jouet, jamais un seul plaisir :

Ils ne sont pas vêtus pendant les froides bises

Et sur leurs rouges mains on lit le mot : souffrir !

 

Aux yeux de l’ouvrier compterez-vous les larmes,

Quand d’un outil tranchant qu’il serre dans sa main

Il peut finir ses jours pleins d’effroi, pleins d’alarmes,

Et mettre enfin la mort entre hier et demain ?

 

Il le porte à son cœur ! oh ! Seigneur ! il hésite !...

Sa main tremble !... Déjà ses yeux sont plus brillants,

Il étanche ses pleurs, et son cœur bat plus vite,

Le fer est retombé de ses doigts défaillants !...

 

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Non ! il n’a pas eu peur, sa vie est un martyre,

Et ce n’est point pour fui qu’il redoute la mort !

C’est de son jeune enfant le pâle et doux sourire,

Qui vient de le raidir contre les coups du sort.

 

Il supportera donc cette lente agonie

Pour ces êtres chétifs qui n’ont d’espoir qu’en lui,

Et portant le fardeau, qu’on appelle la vie,

Tout seul dans le malheur il sera leur appui.

 

Sa femme au froid cercueil est déjà descendue,

Conduite lentement par les privations,

Mais son âme, en ces lieux, demeure suspendue

Pour aider ceux qu’elle aime en leurs afflictions.

 

Riches, qui par votre or vous créez des soirées,

Où lustres et cristaux brillent autour de vous,

Regardez avec moi les nuits décolorées,

Les pleurs de l’indigent, sans feu, bien près de nous !

 

Quand vos pieds délicats foulent avec mollesse

Des tapis veloutés aux riantes couleurs,

Pensez que pour les uns, tout est plaisir, richesse,

Et pour d’autres, voyez, que d’amères douleurs !

 

Quand, partant pour le bal, de parfums embaumées,

Belles sous vos rubis, vos perles, vos saphirs,

Mesdames, vous semblez autant de fleurs aimées

Écloses le matin pour de mondains plaisirs ;

 

Avez-vous réfléchi que, près de vous peut-être,

Quelqu’un mourait de froid ?... que pour un diamant

Vous eussiez pu sauver par un peu de bien-être

Une mère qui pleure à son dernier moment ?

 

Vous, dont les revenus surpassent la dépense !

Riches qui semez l’or pour le moindre désir !

Descendez du palais que régit l’opulence,

Montez à la mansarde, apprenez à souffrir !

 

 

 

Jeanne MUSSARD.

 

Paru dans La Tribune lyrique populaire en 1860.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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