Les saints du mariage

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Marie NOËL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JE viens de faire au Paradas une trouvaille délicieuse : deux bienheureux qui se cachaient, que nul ne savait, que nul n’invoquait et qui, pourtant, pourraient bien être les saints patrons du bonheur.

Un homme, une femme, deux époux.

J’ai toujours envié à la religion hindoue ses couples sublimes qu’un amour absolu, héroïque, a parfois haussés jusqu’aux dieux : Rama-Sita, Savitri-Satryavan, Nalana-Damayanti... Pour sauver Satryavan, son époux, Savitri triomphe de la mort.

Chez nous chrétiens, fils de la Vierge, les splendeurs de la virginité ont effacé toutes les autres et fait presque disparaître du cortège éclatant de nos saints couronnés, ceux dont je sais bien sûr pourtant qu’ils existent, les saints et les saintes du mariage, les saints et les saintes de l’amour – le mieux éprouvé peut-être de tous, dont il est dit par l’Apôtre qu’il donne tout, croit tout, espère tout, souffre tout...

On canonise peu les gens mariés, une veuve parfois, un confesseur... mais pas l’homme et la femme ensemble.

Henri l’Empereur et sa femme, Cunégonde, le furent, mais la légende fait haut valoir, en témoignage de leur vertu, qu’ils se sont tenue chastement à distance. Ce ne sont pas eux que je cherche.

D’autres couples comme Chrysanthe et Daria ont été réunis sous l’auréole du même martyre, mais parmi les innombrables élus que l’Église inscrit au livre glorieux de la Cour céleste, parmi tant de papes, d’évêques, de moines et de nonnes, où sont ceux, les rares, qu’Elle honore pour s’être sur terne, homme et femme, magnifiquement aimés ? Où sont nos Sabines et nos Éponimes ? Où les tient-on comme des parents pauvres, dans les Communs du Paradas ?

Et voilà qu’hier, j’en ai trouvé deux. Je les cherchais bien loin ! Ils sont de mon village !

De mon village ou presque. J’ai marché, il n’y a guère, de mes propres pieds, sur leurs propres terres.

Lui s’appelle Hilaire, elle, Quiéta. Ah ! le beau nom de femme ! On le voit sourire. On y entend calme et sagesse, miséricordieuse douceur.

Ils vécurent au Ve siècle. Ils étaient de borne race et eurent beaucoup d’enfants.

L’un d’eux, Saint Jean de Réone, fonde le Moutier Saint-Jean dans ce coin de Bourgogne où la Côte d’Or tient à l’Yonne ; où, à Fain-le-Moutier, l’Église a récolté une sainte, Catherine Labouré.

La légende d’Hilaire et de Quiéta n’est abondamment narrée. Elle tient toute en quelques mots d’or : ils menèrent une vie exemplaire et s’aimèrent de tel amour que leur amour fut, outre-mort, glorifié par un miracle.

Hilaire mourut le premier. Il fut enseveli en l’Église Saint Jean à Dijon, dans un tombeau d’une grande richesse.

Quiéta mourut à son tour. Quand on voulut la déposer à côté de son époux, Hilaire leva le bras droit, le lui passa autour du cou et l’attira sur son cœur.

Acclamés, à cette vue, par le peuple fidèle, les deux époux, un peu plus tard, furent portés sur les autels.

J’aimerais que les jeunes mariés, à ces élus de la tendresse, fissent dévotement brûler un cierge. Hélas, où les trouveront-ils ? Ils ont été, au IXe siècle, transférés dans les cryptes de la cathédrale de Dijon, en deux sépulcres séparés.

Ô impiété des prêtres !

 

 

Marie NOËL, Notes intimes.

 

Paru dans L’Anneau d’or en 1964.

 

 

 

 

 

 

 

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