À Lamartine

 

 

                                 Et c’est là qu’est mon cœur.

                                                  (LAMARTINE.)

 

Oui, je viens te chanter encore,

Pèlerin du berceau, du nid,

Je viens saluer ton aurore,

L’œil encor plein de ton zénith.

 

Je veux oublier, ô poète !

Ton large midi triomphant

Pour cette autre divine fête,

L’âme de Lamartine enfant !

 

J’en veux voir flotter la lumière,

Ici, dans ton propre horizon,

En fêter la clarté première,

Du seuil même de ta maison.

 

Car, si Mâcon garde la page

Où ton nom d’abord fut écrit,

Milly, tout fier de son partage,

Est le berceau de ton esprit.

 

Dans le vallon qui se dérobe.

C’est la nourrice aux soins touchants

Qui prit ton âme dans sa robe

Et l’a couvée avec des chants.

 

Dans les sentiers, dans les prairies,

Elle t’a conduit par la main,

Peuplant de blanches rêveries

La solitude du chemin.

 

Dans une maternelle étreinte,

Elle a pressé ton front charmant.

Et ton âme a gardé l’empreinte

De cet étroit embrassement.

 

Milly, c’est la terre natale !

Son image vous suit toujours,

Et, quand son fils lui revient pâle,

Elle a des pleurs pour ses amours.

 

C’est ton enfance et c’est ta mère !

C’est la leçon sous le ciel bleu,

Dans la Bible ou bien dans Homère.

Ou dans le grand livre de Dieu !

 

Milly, Milly ! c’est la Patrie

Dont les voix s’élèvent en chœur

Du fond de ton âme attendrie,

– Et c’est toujours là qu’est ton cœur !

 

Retour de tendresse touchante,

Du cœur au cœur élans égaux !

Tu la chantas, elle te chante ;

Ton nom est dans tous ses échos !

 

Les coteaux le disent aux plaines,

Le roc au roc, dans les hauteurs,

Et dans leurs voix, graves et pleines,

Des troupeaux il monte aux pasteurs !

 

Le haut Signal où rien ne bouge

Comme un drapeau le porte écrit,

Et le vieux toit de tuile rouge,

Comme d’un jardin s’en fleurit.

 

Il brille ici sur toute chose

D’un rayonnement toujours pur ;

D’une clarté d’apothéose

Il s’auréole dans l’azur.

 

Une tendresse l’environne ;

Son culte en est tout parfumé ;

L’Amour a tressé ta couronne :

Ton triomphe est d’avoir aimé !

 

Ton toit peut tomber en ruines

Puisqu’ici-bas tout à son tour ;

La ronce darder ses épines

Sur ce nid qui fut ton amour ;

 

Tout peut crouler, le seuil et l’âtre ;

Mais à ce qui fut ta maison

Ne crains pas que jamais le pâtre

En sifflant jette sa chanson !

 

Tes pasteurs sont fiers de ta gloire ;

Tu peux dormir au milieu d’eux :

Leur cœur vaut mieux pour ta mémoire

Que les panthéons hasardeux !

 

Qui que ce soit ici le maître,

C’est toi toujours, c’est toi le dieu ;

Et ton hôte se sent ton prêtre,

Et ta demeure est le saint lieu.

 

On baisse la voix quand on entre ;

Silence à ma témérité !

Sur ton parvis, ô divin chantre,

Pardonne-moi d’avoir chanté !

 

 

 

Lucien PATÉ.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1897.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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