Prières devant l’océan

 

 

                                    I

 

Mon Dieu, j’ai blasphémé. Croyant mon âme inerte

Étroitement liée à mon corps tout-puissant,

Et n’imaginant point un esprit qui déserte

Les merveilleux cachots que bâtissent nos sens,

 

J’ai dit : « Mes yeux, c’est vous qui découvrez le monde

Et qui vous émouvez de la splendeur du ciel. »

J’ai dit : « Mon cœur de chair et que le sang inonde,

Quand vous ne battrez plus mourra l’essentiel. »

 

Comme je vous aimai, mes doigts, mes pieds agiles,

Mes bras faits pour l’étreinte, et vous qui m’apportiez,

Oreilles, les échos des voix les plus subtiles,

Vous tous à travers qui j’ai connu la beauté !

 

Je ne concevais pas qu’un être périssable

Pût enfermer en lui le souffle surhumain ;

Et j’ai vécu, mon Dieu, riche et si misérable,

Méconnaissant les dons de votre amour divin.

 

Pourquoi palpites-tu devant la mer antique,

Toi qui depuis toujours sans frémir m’habitas,

Et pourquoi chantes-tu tout à coup ce cantique

Qui me laisse tremblante et ne s’apaise pas ?

 

Ce ne sont pas mes yeux, mes mains ni mes oreilles

Qui peuvent s’évader par-dessus l’horizon

Et découvrir ce qui s’élance et m’émerveille

Bien au delà des pauvres mots de ma raison.

 

C’est l’invisible esprit qui vibre et communie

Avec le grand mystère éternel et sacré,

Et ce n’est plus, mon Dieu, qu’une âme humble qui prie

Et s’élance vers  vous d’un grand bond délivré.

 

 

                                    II

 

Il faut me pardonner d’aimer ce que vous fîtes

            Si beau, par-dessus tout, mon Dieu.

Je sais que votre souffle en chaque être palpite,

                   Que tout est merveilleux ;

 

Que vous vous révélez dans la fleur de la dune

            Aussi bien que dans l’océan,

Et que toutes les voix de la terre, une à une,

                   Naissent en vous louant.

 

Vous m’avez fait une âme étrange et frémissante,

             Avide de vents déployés,

Et qui vous trouve mieux, mon Dieu, dans la tourmente

                   Qu’en les flots apaisés ;

 

Qui, chérissant pourtant vos moindres créatures

            Et sachant son infirmité,

S’enivre de flotter sur l’océan qui dure

                   Depuis l’éternité.

 

 

 

Cécile PÉRIN.

 

Paru dans La Muse française en 1924.