Un jeune vieillard

 

 

Oui, sans doute il est vieux et n’en fait pas mystère ;

Les rides sur son front le proclament assez ;

Mais, si son corps débile est penché vers la terre,

Pour regarder les cieux sont front s’est redressé.

Son cœur est jeune encor pour la reconnaissance,

Il bat plus vite aux mots de Patrie et d’Honneur,

Il s’ouvre à la pitié lorsqu’il voit la souffrance,

Il se ferme au méchant, au lâche, au suborneur.

S’il entend raconter quelque action sublime,

Malgré le froid des ans son sang a bouillonné ;

S’il apprend les malheurs d’un peuple qu’on opprime,

D’un éclair menaçant son œil est sillonné ;

Le vice a son mépris, la vertu son estime ;

Dans un cercle d’amis il cherche à s’enfermer ;

Pour les fêter en vers son cœur trouve la rime.

On est toujours poète alors qu’on sait aimer.

 

Dans ses rustiques chants sa verve qui s’épanche

Au souffle du printemps se met à refleurir ;

Avec les prés, les bois sa muse s’endimanche ;

Ainsi qu’eux tous les ans on le voit reverdir.

Il sourit à la terre avec lui réveillée

Et de ses frais atours trop longtemps dépouillée ;

Il est heureux de vivre, et sur tous les chemins

Élève au Créateur sa prière et ses mains.

Sa promenade n’est qu’une pieuse extase

Où son sein se dilate, où son âme s’embrase

Au zéphir attiédi qui rend la feuille au bois,

La marguerite à l’herbe, au rossignol sa voix,

Au ruisseau son murmure, et qui de la prairie

En la couvrant de fleurs orne la draperie.

D’une céleste joie alors son cœur bondit

Aux rayons d’un soleil qui brille, resplendit.

De cet air bienfaisant tout son corps se sature ;

Lui-même il rajeunit ainsi que la nature.

Avec maux et chagrins son âge s’est enfui.

 

Combien de jeunes gens qui sont plus vieux que lui !!

 

 

 

J. PETIT-SENN.

 

Paru dans La Tribune lyrique populaire en 1861.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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