Poème antique et chrétien

 

 

Mon Dieu, ce même jour qui fut votre agonie,

J’entends partout chanter la lumière et la vie.

Le souffle impérieux qui gonfle les rameaux

Sous les herbes poursuit l’eau claire des ruisseaux.

La sonore forêt, vibrante d’allégresse,

Distille dans nos cœurs sa fraîche et verte ivresse.

Quand je vous vois en croix, qu’ils vous ressemblent peu,

Tous ces jardins en fleurs fumant vers le ciel bleu !

Dans la chaude clarté, dans l’appel de la brise,

Est-ce votre ennemi qui m’abuse et me grise ?

Mais si tant de rayons n’émanent point de vous,

De l’heureuse Nature êtes-vous donc jaloux ?

Mon Dieu, ces chœurs mêlés de sources débordantes,

Les parfums, le frisson des montagnes ardentes,

Les feuilles et les fleurs, le plaisir émouvant

De tout ce qui respire et tremble dans le vent,

Faut-il pour Vous aimer, que mon cœur les maudisse,

Comme une obscure offense à Votre sacrifice ?

 

                                    *

                                 *    *

 

C’est Vous, en triomphant de tous les anciens dieux,

Qui m’ouvrez la forêt comme autrefois profonde.

Soyez loué, Seigneur ! À la beauté du monde,

Vous n’avez point permis que je ferme les yeux.

 

Printemps lourd de feuillage, éclatante lumière,

Du temple de mon Dieu, vous êtes le décor,

Et toi dont les saisons perpétuaient l’accord

De nos cœurs confondus, Cybèle, ô grande Mère,

 

Tends les bras vers le Christ surgi d’entre les morts !

L’aube du jour pascal, qui sur les monts déploie

La danse des torrents, nous invite à la joie.

Tes péchés sont remis, je t’aime sans remords.

 

Tu n’exciteras plus, pareils aux Corybantes,

Les cortèges errants de l’enfer furieux,

Mais au pied de la Croix qui partage les cieux,

Sois la première et la plus humble des servantes.

 

Sur tes flots délivrés d’un mirage menteur,

Se lèveront le soir des visions sereines.

L’innombrable troupeau des cimes et des plaines

Obéit au seul Dieu qui fut ton Créateur.

 

Aux portes des coteaux où l’ombre tiède glisse,

Voici tes fruits d’un jour changés en sacrement.

Et le soleil pour l’hostie a mûri le froment,

Et les plus beaux raisins pour le vin du calice.

 

Faunes musiciens cachés au fond des bois,

Sylvains, peuple craintif, cortège des Naïades,

Chantez ! Un jour nouveau sonne dans les cascades,

Cybèle harmonieuse, anime votre voix.

 

Dieu veut que vous chantiez. Mais l’unique mystère

Qu’annoncent aux ravins les feux sanglants, du soir,

Plus loin que le bonheur appelle notre espoir.

Nos désirs affamés dépasseront la terre.

 

Dans le chœur nostalgique où sanglote l’été,

Fais entendre ta plainte, et cesse, ô créature,

De te chercher toi-même au fond de la Nature,

Quand par l’Hôte divin le temple est habité.

 

Pauvre église rustique, ô messe de l’aurore !

L’amour chasse la crainte, et, plein d’un tendre émoi,

Mon Dieu que j’ai reçu, je Vous sens vivre en moi !

Chaque arbre sur mon front s’incline, et Vous adore.

 

 

 

Louis PIZE.

 

Recueilli dans Poètes de Jésus-Christ,

poésies rassemblées par André Mabille de Poncheville,

Bruges, Librairie de l’Œuvre Saint-Charles, 1937.

 

 

 

 

 

 

 

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