Peur

 

 

Certains soirs, quand les plis du voile de la nuit

Tiennent comme un linceul nos figures encloses,

On sent autour de soi flotter l’âme des choses,

Pauvre âme errante, ombre plaintive qui nous suit.

 

Et tout alors, le vent qui passe et qui vous frôle,

Le moindre cri d’oiseau, rêvant dans un buisson,

Tout vous secoue avec un étrange frisson,

Comme si quelqu’un, là, vous touchait sur l’épaule,

 

Quelqu’un de soupçonné, d’attendu, qui viendrait

De la rive inconnue où l’humanité sombre,

Comme si, lentement, prenant un corps dans l’ombre,

Le mystère angoissant murmurait son secret.

 

Quel spectre redouté nous poursuit à cette heure !

Qui va parler, au fond du crépuscule noir,

Pour que l’arbre, l’oiseau, le ciel, le vent du soir,

Tout ce que nous aimions, à présent, nous apeure ?

 

Qui vient tendre soudain ce lien si ténu,

Si frêle, si léger que parfois on l’oublie,

Mais que rien n’a jamais pu rompre, et qui relie

Notre monde visible au grand monde inconnu,

 

Pour qu’en de certains soirs, lorsque sur nous se pose,

Comme un crêpe de deuil, le voile de la nuit,

Nous tressaillions ainsi, peureux au moindre bruit,

Et que nous attendions quelqu’un ou quelque chose ?

 

 

Berthe de PUYBUSQUE, L’Angélus sur les Champs.

 

Recueilli dans les Suppléments à l’Anthologie

des poètes français contemporains, 1923.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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