Sur l’existence de Dieu

 

 

Oui, c’est un Dieu caché que le Dieu qu’il faut croire ;

Mais tout caché qu’il est, pour révéler sa gloire,

Quels témoins éclatants devant moi rassemblés !

Répondez, cieux et mers, et vous, terre, parlez.

Quel bras peut vous suspendre, innombrables étoiles ?

Nuit brillante, dis-nous qui t’a donné tes voiles.

Ô Cieux ! que de grandeur et quelle majesté !

J’y reconnais un maître à qui rien n’a coûté,

Et qui dans vos déserts a semé la lumière,

Ainsi que dans nos champs il sème la poussière.

Toi qu’annonce l’aurore, admirable flambeau,

Astre toujours le même, astre toujours nouveau,

Par quel ordre, ô soleil, viens-tu, du sein de l’onde

Nous rendre les rayons de ta clarté féconde ?

Tous les jours je t’attends, tu reviens tous les jours :

Est-ce moi qui t’appelle et qui règle ton cours ?

Et toi, dont le courroux veut engloutir la terre,

Mer terrible, en ton lit, quelle main te resserre ?

Pour forcer ta prison, tu fais de vains efforts ;

La rage de tes flots expire sur tes bords.

Fais sentir ta vengeance à ceux dont l’avarice

Sur ton perfide sein va chercher son supplice.

Hélas ! prêts à périr, t’adressent-ils leurs vœux ?

Ils regardent le ciel, secours des malheureux.

La nature, qui parle en ce péril extrême,

Leur fait lever les yeux vers l’asile suprême :

Hommage que toujours rend un cœur effrayé

Au Dieu que jusqu’alors il avait oublié.

La voix de l’univers à ce Dieu me rappelle ;

La terre le publie : Est-ce moi, me dit-elle,

Est-ce moi qui produis mes riches ornements ?

C’est celui dont la main posa mes fondements.

Si je sers tes besoins, c’est lui qui me l’ordonne :

Les présents qu’il me fait, c’est à toi qu’il les donne.

Je me pare des fleurs qui tombent de sa main ;

Il ne fait que m’ouvrir et m’en remplit le sein.

Pour consoler l’espoir du laboureur avide,

C’est lui qui dans l’Égypte, où je suis trop aride,

Veut qu’au moment prescrit, le Nil loin de ses bord,

Répandu sur ma plaine, y porte mes trésors.....

Ainsi parle la Terre ; et charmé de l’entendre,

Quand je vois par ces nœuds, que je ne puis comprendre,

Tant d’êtres différents l’un à l’autre enchaînés,

Vers une même fin constamment entraînés,

À l’ordre général conspirer tous ensemble,

Je reconnais partout la main qui les rassemble,

Et d’un dessein si grand j’admire l’unité,

Non moins que la sagesse et la simplicité....

Le roi pour qui sont faits tant de biens précieux,

L’homme élève un front noble, et regarde les cieux.

Ce front comme un théâtre où l’âme se déploie,

Est tantôt éclairé des rayons de la joie,

Tantôt enveloppé du chagrin ténébreux.

L’amitié tendre et vive y fait briller ses feux,

Qu’en vain veut imiter, dans son zèle perfide,

La trahison, que suit l’envie au teint livide.

Un mot y fait rougir la timide pudeur ;

Le Mépris y réside ainsi que la Candeur,

Le modeste Respect, l’imprudente Colère,

La Crainte et la Pâleur, sa compagne ordinaire,

Qui, dans tous les périls funestes à mes jours,

Plus prompte que ma voix, appelle du secours

À me servir aussi, cette voix empressée,

Loin de moi, quand je veux, va porter ma pensée !

Messagère de l’âme, interprète du cœur,

De la société je lui dois la douceur.

Quelle foule d’objets l’œil réunit ensemble !

Que de rayons épars ce cercle étroit rassemble !

Tout s’y peint tour à tour. Le mobile tableau

Frappe un nerf qui l’élève et le porte au cerveau.

D’innombrables filets, ciel ! quel tissu fragile !

Cependant ma mémoire en a fait son asile,

Et tient dans un dépôt fidèle et précieux

Tout ce que m’ont appris mes oreilles, mes yeux.....

Mais qui donne à mon sang cette ardeur salutaire ?

Sans mon ordre il nourrit ma chaleur nécessaire....

Est-ce moi qui préside au maintien de ces lois ?

Et pour les établir ai-je donné ma voix ?

Je les connais à peine : une attentive adresse

M’en apprend tous les jours et l’ordre et la sagesse.

De cet ordre secret reconnaissons l’auteur.

Fut-il jamais des lois sans un législateur ?.....

Reconnaissons du moins celui par qui nous sommes,

Celui qui fait tout vivre et qui fait tout mouvoir :

S’il donne l’être à tout, l’a-t-il pu recevoir ?

Il précède les temps. Qui dira sa naissance ?

Par lui, l’homme, le ciel, la terre, tout commence,

Et, lui seul, infini, n’a jamais commencé.

Quelle main, quel pinceau dans mou âme a tracé

D’un objet infini l’image incomparable ?

Ce n’est point à mes sens que j’en suis redevable....

Et d’un être infini je me suis souvenu

Dès le premier instant que je me suis connu.

 

 

 

Louis RACINE.

 

Recueilli dans

Choix de poésies religieuses

et morales, 1837.

 

 

 

 

 

 

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