Sur la mort de Charles Gill

 

 

                                    I

 

Avec ton front toujours pensif, ton pur profil

et l’humble majesté de ta parole austère,

ceux-là te reverront dans leur pensée, ô Gill,

qui furent les témoins de ton séjour sur terre.

 

Ils sont peu. – Tu fuyais la rue au ruisseau vil

pour les sommets baignés d’azur et de mystère.

Mais, le mont fraternel se rappellera-t-il

ta visite assidue et ton pas solitaire ?...

 

Oui. Déjà, sur le tertre où son poète dort,

l’automne funéraire étend ce tapis d’or

que, peintre, tu fixais en de vivantes toiles ;

 

et, dans l’enclos du grand repos, ces tristes airs,

que, chaque nuit, le vent redit, ce sont tes vers,

sous le clair regard bleu de tes sœurs, les étoiles !...

 

 

                                    II

 

Une lyre héroïque, au public inconnue,

est descendue en terre, avec toi, Charles Gill.

Ô deuil ! Nous n’aurons plus, pour dorer notre exil,

de tes vers somptueux la rime bien venue.

 

Dieu t’avait fait le don sacré d’un art viril.

Tu marchais en chantant ; ton front touchait la nue.

La Gloire t’attendait au bout de l’avenue...

Quand de tes jours féconds la Mort trancha le fil.

 

Puisque la Vie aveugle au seul triomphe donne

de ses lauriers douteux l’éphémère couronne,

écoute, Gui, voici ma part de vérité :

 

Qu’elle soit de lumière ou d’ombre accompagnée,

la tombe la plus belle est l’estime gagnée :

l’hommage est toujours grand quand il est mérité !

 

 

                                                                   25 octobre – 2 novembre 1918.

 

 

Lucien RAINIER, Avec ma vie,

Montréal, Éditions du Devoir, 1931.

 

 

 

 

 

 

 

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