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Le messager de l'âme


Âme, hôtesse du corps, pars et sans nulle peur
Va pour une mission bien ingrate, mais sage,
Ne crains pas de toucher à l’homme le meilleur,
La seule vérité deviendra ton message ;
Pars, et puisque je dois mourir sans nui souci,
Au monde trop flatteur donne le démenti.

Allons, dis à la Cour qu’elle luit faussement,
Comme du bois pourri répandant sa lumière,
Et va dire à l’Église, oh ! combien faiblement
Elle voit la bonté, n’étant pas aumônière ;
Si l’Église et la Cour te répliquent aussi,
Oh ! donne-leur alors vite le démenti.

Va dire aux Potentats qu’ils vivent maintenant
Par d’autres agissant, par la force brutale,
Ne récoltant l’amour sans donner de l’argent,
Sans force et sans pouvoir, hors leur faction spéciale.
Et si les Potentats te répliquent aussi,
Oh ! donne aux Potentats le plus fort démenti.

Dis à tous ces Seigneurs de noble condition
Qui règlent les travaux de l’État avec peine,
Que leur seul but en tout n’est que leur ambition,
Et que tout ce qu’ils font doit contenter leur haine.
S’ils osent répliquer, à ces Seigneurs aussi
Donne bien vite alors le plus fort démenti.

Puis dis à ceux menant une vie princière
Qu’ils mendient beaucoup en beaucoup dépensant ;
Ceux qui dépensent trop ici-bas sur la terre
Recherchent seulement un compliment présent ;
Et si ceux-là te font une réplique aussi,
Donne-leur vite alors le plus fort démenti.

Dis au Zèle qu’il manque aussi de dévotion,
Et dis à la Passion qu’elle est charnelle et fière,
Dis au Temps qu'il n est que l’imparfaite motion,
Et dis à notre Chair qu’elle n'est que poussière,
Ne tiens pas de trop près à leur réplique aussi,
Car tu dois leur donner le plus fort démenti.

Dis à l’Age qu’il meurt, hélas ! journellement,
Dis à l’Honneur si vain qu’il change tôt d’asile,
À la fière Beauté qu’elle tombe à présent
Et dis à la Faveur que sa base vacille,
Et lorsque tous ceux-ci te répliquent aussi,
Donne vite à chacun le plus fort démenti.

Dis à l’Esprit mondain qu’il querelle et qu’il ment
Sur certains points mesquins et remplis de bêtise,
À la Sagesse aussi qu’elle embrouille souvent
Tout ce qu’elle entreprend, et parfois sans franchise,
Si l’Esprit, la Sagesse ont la réplique aussi,
Donne-leur sur-le-champ le plus fort démenti.

Dis à la Médecine aussi qu’elle est sans coeur,
À l’Adresse qu’elle est comme une courtisane,
Parle à la Charité de sa grande froideur,
Dis à la Loi qu’elle est simplement la chicane,
Et quand toutes bientôt te répliquent aussi,
Donne-leur aussitôt le plus fort démenti.

À la Fortune parle aussi d’aveuglement,
Et parle à la Nature enfin de décadence,
Rappelle à l’Amitié qu’elle est fausse souvent,
À la Justice dis de garder sa balance.
Lorsque toutes alors te répliquent aussi,
Donne-leur sur-le-champ le plus fort démenti.

Dis aux Arts qu’il n’ont plus leur ancienne vigueur,
Mais varient souvent quand ils semblent connaître,
À l’École qu’elle a bien moins de profondeur,
Et nous contente mal en feignant de paraître.
Si l’École et les Arts te répliquent aussi,
Vite donne à tous deux le plus fort démenti.

Dis à la simple Foi de quitter la cité,
Dis que tous maintenant désertent la campagne,
À la Virilité dis qu’elle est sans pitié,
À la Vertu qu’elle a rarement de compagne.
Et si toutes alors te répliquent aussi,
Ne crains pas de donner le plus fort démenti.

Ainsi donc quand toi-même auras tout comme moi
Fait couler devant tous cette saine éloquence,
Donner le démenti froidement, sans émoi,
Ne mérite pas moins qu’un poignard de silence.
Poignarde cependant qui veut ma pauvre chair ;
On ne peut tuer l’âme, et cela c’est bien clair.



Sir Walter RALEIGH.

Traduit par sir Tollemache Sinclair.

 

 

 

 

 

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