La tour noire

 

 

Sur la houle des toits mirés dans la rivière,

Comme un monstre effarant un large troupeau gris,

La sombre cathédrale aux clochetons fleuris

Dresse une vieille tour qui semble un front de pierre.

 

Depuis mille ans bientôt, dans toutes ces maisons,

Que de trépas cruels, de naissances bénies !

Que de ris et de deuils, d’espoirs et d’agonies !

La hautaine tour noire en a fait des chansons.

 

Sa cloche a célébré les berceaux et les tombes ;

La joie et la douleur se valent : tout est vain.

La tour jette au ciel bleu son cantique divin

Comme un rythmique essor d’éclatantes colombes.

 

Ô clocher, comme toi, hausser mon front vainqueur

Au-dessus des vains bruits de ce monde illusoire,

Jusqu’à ce qu’impassible ainsi qu’une tour noire,

J’aie une cloche d’or à la place du cœur !

 

 

 

Jean RAMEAU.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1890.

 

 

 

 

 

 

 

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