Le fiancé de la pauvreté

 

 

Ayant en son conseil tenu le grand Sabbat

Et jugulé dans sa gorge un sarcasme espiègle,

Vers le chevet de l’homme éployant son vol d’aigle

Satan s’insinua de rechef au combat.

 

« Dieu qui sonde ton âme et le mal qui t’abat

» Me délègue en la nuit pour t’édicter sa règle.

» Sache qu’il t’interdit l’eau saumâtre et le seigle

» Et s’afflige de ton imprudent célibat.

 

» Tu n’es point fait pour l’âpre jeûne qui mutile.

» Revêts donc le manteau de jadis où rutile

» Le lacis compliqué des orfrois et des fleurs ».

 

– Au bruit lourd de ces mots tombant dans son cœur vide

L’adolescent se réveilla les yeux en pleurs

Et se mit à marcher par crainte vers l’abside. –

 

                                          *

 

Trois femmes sous l’arceau du large chœur vacant

Vers lui s’acheminaient au rythme de l’antienne :

Visages d’autrefois, et le moine se peine

Qui vit ces trois profils blonds et ne sait plus quand.

 

La plus svelte s’arrête, intangible, évoquant

Avec son lis fleuri quelque madone ancienne

Et le chaste, anxieux s’il doit l’élire sienne,

Écrase le désir en son cœur suffocant.

 

Portant un roseau souple et dont la tige oscille,

Silencieuse suit une vierge docile,

Les bras courbés d’antan au servage d’autrui.

 

Et derrière elle, hâve, implorante et chétive,

Celle pour qui le son de l’or n’a pas de bruit

En tunique de serge apparaît sous l’ogive.

 

                                          *

 

Il dit : « Vierge aux poignets que l’or n’a pas étreints

» Et qui n’agrafe point ton voile à quelque broche,

» Femme sans pesante escarcelle qui s’accroche

» À de riches cordons suspendus à tes reins ;

 

« Toi qui n’as su ni les anneaux, ni leurs écrins,

» Ni l’argent ciselé que l’orfèvre guilloche ;

» J’aime ton vêtement grossier qui s’effiloche

» Et ton dégoût des fols ducats et des florins.

 

» Or, te sachant féale et fière d’origine,

» Par valide contrat que Dieu signe et margine

» Je t’élis pour ma Dame et te donne ma foi.

 

» Prêtre, revêts l’amict, l’étole et la chasuble,

» Car voici les époux venus par devers toi

» Afin de se jurer l’amour indissoluble ».

 

 

 

Jules RAULIN.

 

Paru dans Le Spectateur catholique en novembre 1897.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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