La cigale

 

 

Mes frères, écoutez notre sœur, la cigale...

Elle est petite, elle est familière et frugale,

Et, sans aucun désir vain de se faire voir,

Tout le jour, accrochée au creux d’un arbre noir,

Elle chante... Mais peut-on dire qu’elle chante ?

Dans les nuits de printemps, le rossignol enchante

Les roseaux, les sentiers et les bêtes des bois.

Et les autres oiseaux, s’ils n’ont point tant de voix,

Du moins font-ils entendre un chant dont l’harmonie

Annonce à notre cœur la musique infinie...

Mais la cigale ne sait rien que répéter

Deux notes, ne sait rien, mes frères, que frotter

L’une à l’autre les deux membranes de ses ailes.

Or, tandis que le ciel sur les blondes touselles

Luit et que le soleil tient les champs accablés,

Elle seule, au-dessus des fauves champs de blés,

Alors que tout se tait, les choses et les êtres,

Les pins, les oliviers, les routes, les fenêtres,

Lorsque rien n’a plus la force d’un mouvement,

Elle seule, humblement, infatigablement,

Elle fait retentir l’air, le ciel et la pierre,

Et l’on dirait qu’elle est le bruit de la lumière ;

Sachant le peu qu’elle sait faire et le faisant,

Elle seule, perçant l’azur d’un tel accent

Que sa prière arrive à Dieu par-dessus toutes,

Voix des sillons qui va jusqu’aux célestes voûtes

File seule, le long du jour égal et bleu,

Elle dit : « Louez Dieu !

Louez Dieu !

Louez Dieu ! »

 

 

 

Émile RIPERT, Le Poème d’Assise, Éditions Spes.

 

 

 

 

 

 

 

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