Enfant

 

 

Elle était demeurée cette enfant sauvage

au visage triste et « aux grands yeux graves »

où luit je ne sais quelle ardente flamme

comme un appel à quelque mystique idéal,

mais avec toute une tristesse inexprimable.

Elle était demeurée cette enfant douloureuse

qui jouait seule et sans amies joyeuses,

cette enfant aux beaux yeux grand ouverts sur la vie,

sauvage et farouche de n’avoir pas été comprise,

qui pourtant eût donné tous ses pauvres jouets,

qui eût donné son cœur et toute sa vie avec

à celui qui aurait su prendre son âme.

Elle était demeurée cette petite fille sauvage,

elle était demeurée cette enfant passionnée

douée pour la musique et au rêve prédestinée,

cette enfant étrange qui regardait au loin,

qui s’en allait, un jour, au hasard du chemin,

suivie de tous ses rêves de ses bêtes imaginaires.

Mais dans le visage de cette enfant solitaire

aux grands yeux sérieux, aux grands yeux douloureux

comme si déjà la vie se reflétait en eux,

mais dans ce pur visage, ange de ma douleur,

fille mystique et qui n’est pas faite pour le bonheur,

il y a je ne sais quelle lumière d’espérance,

je ne sais quelle confiance dans la souffrance,

il y a comme une grande sérénité

mêlée à la douleur et pareille à une clarté !

– Ô enfant solitaire avec tes boucles noires,

avec tes deux grandes boucles inégales

écartées à droite et à gauche du visage

comme un rideau ouvert sur un ciel matinal !

 

 

Robert ROCHEFORT,

Gravures religieuses.

 

Paru dans le Mercure de France

en août 1934.

 

 

 

 

 

 

 

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