Ô femme agenouillée…

 

 

Ô femme agenouillée en tes noirs vêtements

faits d’une étoffe simple et sans nul ornement,

d’une étoffe sévère et sans nulle parure,

et sans nulle recherche et sans bijoux impurs,

sans rosaire en tes doigts pour distraire ton âme,

ô femme agenouillée, ô dure paysanne

priant de toute ta force et de toute ta raison !

Avec ce châle noir noué sous ton menton

et qui te donne un peu l’aspect d’une pauvresse,

ton visage et tes mains jointes qui apparaissent

sont les seules clartés de cette sombre image.

Mais de l’étoffe noire enserrant le visage

réduisant cruellement le visage à lui-même,

et le livrant au jour plus détaché, plus blême,

se dégage bien mieux l’expression profonde.

Le visage apparaît dépouillé du mensonge

avec tous ses défauts comme avec sa beauté,

il apparaît avec toute sa vérité,

il apparaît avec toute sa véhémence

et cet air de ferveur, de joie et de souffrance !

Ô sous le jour cruel d’un vitrail nu et clair

Ce visage enserré par l’étoffe sévère

et concentrant en soi les forces de la vie

et de l’âme et du corps, toutes montées en lui !

Grand visage aux yeux clos qui regardes ton âme,

tes paupières baissées baignent de tant de calme,

donnent tant de douceur et de sérénité

à ces traits douloureux offerts à la clarté !

Oh ! sur leur désespoir et sur leur violence

les paupières baissées comme un vaste silence,

et comme sur les traits tourmentés des martyrs

la douceur d’une mort à laquelle ils aspirent !

Pauvre femme à genoux sur les dalles glacées

priant avec ton corps comme avec ta pensée,

corps ardemment crispé qui te tends vers le ciel

comme pour porter plus haut l’ardeur de ton appel,

femme à genoux et dont toute l’ardeur vouée

se concentre dans le visage et les mains nouées,

tu mets dans ton appel ta force tout entière

et de la tête aux pieds tu n’es qu’une prière !

 

 

 

Robert ROCHEFORT,

Gravures religieuses.

 

Paru dans le Mercure de France

en août 1934.

 

 

 

 

 

 

 

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