La Samaritaine

 

 

« Celui qui boira l’eau que je lui donnerai

N’aura plus soif... » Seigneur, je n’ai plus soif, c’est vrai.

Pour la première fois ! J’ai bu, pour la première !

Oh ! je voudrais pleurer sur tes mains de lumière...

Comme il est bon ! Il me les tend. Tu me les tends !

J’avais si soif, si soif, et depuis si longtemps !

C’est ce vers quoi, sans fin, je reprenais mes courses,

L’eau vive, – et j’en connais toutes les fausses sources.

Quelquefois je croyais aimer, et qu’en aimant

Tout irait mieux, et puis je n’aimais pas vraiment,

Et je restais avec une âme encor plus sèche...

Mais, dès qu’on me parlait d’une autre source fraîche,

L’espoir d’une eau nouvelle et de nouveaux chemins

Me faisait repartir, mon urne dans les mains !

Et je reconnaissais toujours la même route,

Et le même bétail, au même endroit, qui broute,

Les mêmes oliviers tordus et rabougris,

Le même ciel d’azur ou le même ciel gris,

Et d’un geste pareil, mais d’une âme plus vieille,

Toujours dans la citerne, hélas ! toujours pareille

De volupté saumâtre et de trouble plaisir,

Je descendais toujours l’urne de mon désir...

Mais à peine à cette eau ma lèvre touchait-elle

Que déjà je brisais l’urne sur la margelle !

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Et maintenant, c’est dans la fraîcheur que je vais,

Car mon âme a senti, de son ombre surprise,

Sourdre, à flots de clarté, la fontaine promise !

Jaillis, source d’amour, et monte en jet de foi,

Et puis retombe en gouttes d’espoir, chante en moi,

Chante ! et suspends, au lieu d’une poussière infâme,

Une poudre d’eau vive aux parois de mon âme !

 

 

 

Edmond ROSTAND.

 

Recueilli dans Poètes de Jésus-Christ,

poésies rassemblées par André Mabille de Poncheville,

Bruges, Librairie de l’Œuvre Saint-Charles, 1937.

 

 

 

 

 

 

 

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