Les demeures de l’âme

 

                     (FRAGMENT)

 

 

Amour du Beau, du Vrai, saintes affections,

Aux rêveurs d’idéal délices toujours chères,

Où s’allume le feu des nobles passions,

C’est par vous que les cœurs et les mondes sont frères.

 

Tout ce qui doit pour vivre être assis sur le sol

Est sujet à la loi de l’humaine faiblesse ;

Les siècles, fils du Temps, usent tout en leur vol,

Même le dur airain défiant la vieillesse.

 

Parfois un nom fameux, seul écho de sa voix,

De tout un peuple mort rappelle la mémoire ;

De son faste éclatant, de ses dieux, de ses rois

Abolis, oubliés, il est la seule gloire :

 

Ce vide et vain renom, stérile souvenir,

Notre âme plus heureuse en laisse le partage

À de vieilles cités, géants sans avenir,

Qui se nommaient, dit-on, Babylone ou Carthage.

 

Quand, pour les retrouver, l’homme fouille le lieu

Où leur histoire fut un jour ensevelie,

Il apprend qu’au désert le Temps, souffle de Dieu,

Jadis en flots poudreux a dispersé leur vie.

 

Si des peuples ainsi se brisent les ressorts,

Des mondes à leur tour la cendre est dispersée,

Ils subissent aussi la grande loi des morts.

Mais l’âme, l’âme échappe à sa demeure usée :

 

Devant le type saint, rayon de la Beauté,

Qui, laissant resplendir son éternelle image,

Avive le foyer où va l’humanité

Dans ses ascensions s’épurer d’âge en âge,

 

Elle vient rajeunir au souffle créateur

Le principe immortel de son vivant génie,

Emportant avec soi le fruit de son labeur,

Pour être devant Dieu le témoin de sa vie.

 

 

 

Xavier ROUSSELOT.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1896.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net