Les champs
O rus ! quando te aspiciam ?
Heureux qui, pour les champs, a déserté la ville !
L’arbre que le vent berce et la plaine fertile,
L’oiseau couvant ses œufs dans son nid suspendu,
Tout lui parle d’amour, d’amitié, de vertu.
La forêt de sapins, sur le mont qu’il contemple,
Lui semble du Très-Haut le mystérieux temple ;
Chaque rocher moussu lui paraît un autel
Où de plus près il peut adorer l’Éternel.
Aux chants du rossignol, des nuits douce prière,
Le sommeil bienfaisant vient fermer sa paupière.
L’alouette l’éveille, et l’aube aime à poser
Sur sa lèvre eutr’ouverte un fugitif baiser.
À l’aspect de ton oeuvre, ô Seigneur, il t’adore ;
Dans les champs fécondés que le soleil redore,
Dans l’humble vermisseau rampant sur le sillon,
Dans l’aubépine en fleurs et la vigne en bourgeon.
Sur le gazon touffu, quand l’ombre salutaire,
Le soir, verse à longs flots des trésors sur la terre,
Il chante, en aspirant, près d’un saule couché,
Les parfums du foin vert nouvellement fauché.
Il a des pigeons blancs sur ses balcons rustiques,
Dans un joli verger des abeilles antiques,
Et goûte plus de joie, en cet étroit jardin,
Que dans les grands palais l’orgueilleux citadin.
Voyez à son appel, désertant la volière,
Accourir des ramiers la troupe familière,
Et, sans la moindre peur, dans le creux de sa main,
Becqueter le maïs, la pesette ou le pain.
Et lorsque vient l’hiver, ce temps pour tous maussade,
Il n’est point triste, il a la Bible et l’Iliade,
Et puis, autour de lui, pour le désennuyer,
Sa femme et ses enfants, douces fleurs du foyer.
Parfois, il erre seul dans l’enclos funéraire
Où des bons villageois repose la poussière.
Sur un modeste tertre il s’assied, en rêvant
Aux plaintes qu’à l’entour fait entendre le vent.
Ecartant d’un sureau la branche hospitalière,
Il déchiffre un verset, gravé sur une pierre :
Leçon qui, dans trois mots, enseigne au visiteur
À vivre sans remords, comme à mourir sans peur.
Alexandre de SAINT-JUAN.
Paru dans les Annales franc-comtoises en 1865.