Amour

 

 

– Je me remets, Seigneur, en vos mains tutélaires,

Et voyez combien seul, et combien alarmé !

Confiant dans vos dons, j’ai visité mes frères :

Pardonnez-moi, mon Dieu, s’ils ne m’ont pas aimé.

 

Que sais-je ? Ils m’ont parlé de haine et de colère...

Ô vous qui savez tout, quel langage est le leur ?

Mon âme, en ce pays, est-elle une étrangère ?

Ou m’avez-vous fait don d’une rare candeur ?

 

Hélas ! car je ne sais qu’aimer ! Qu’il vous souvienne,

Mon Dieu, de vos présents célestes, et voyez !

De grâce, enseignez-moi la colère et la haine,

Que j’aie enfin ma part à ces dons oubliés.

 

– Ô candeur ! Je t’absous, enfant, de ton offense.

Mais à quoi bon ? Moi-même, ignoré-je mes dons ?

Tant ce cœur où les cieux ont mis leur innocence,

S’il ignore l’offense, ignore les pardons !

 

Recherche le méchant ! Aime-le pour lui-même.

Livre-toi ! Ne sois point avare de ton cœur ;

Et si l’infortuné se dérobe à qui l’aime,

Fais-toi jusqu’à son âme un chemin de douceur.

 

Tu pleures d’être seul ? Va, je suis dans ton ombre.

Tu te débats en vain sous les affronts subis ;

Rassure-toi, pauvre âme, un ange en sait le nombre :

Toute gloire durable est faite de mépris.

 

Sache-le, cet amour, dont le feu te pénètre,

Loin d’être un juste échange, est un pur abandon ;

Celui-là sait aimer qui, livrant tout son être,

Si grand que soit son cœur, l’estime un faible don.

 

Aime ! Car ta richesse est dans ton indigence !

Aime ! Et si ton cœur saigne, ô mon fils, aime encor !

Et sache que leur haine et leur indifférence

Sont des présents royaux dont s’accroît ton trésor.

 

 

Fernand SÉVERIN.

 

Recueilli dans À la gloire de la Belgique,

anthologie de la littérature belge, 1915.

 

 

 

 

 

 

 

 

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