Le chemin des mages

 

                                                    Au cher Henry Monnier.

 

 

Les Mages ont suivi sur les voûtes lointaines,

Où semblent ruisseler les mines de l’Ophir,

La marche des nefs d’or inclinant leurs antennes.

 

Et le ciel, découvert au souffle du zéphir,

S’ouvre comme un lotus d’azur aux cent pétales,

Où tremblerait le feu des mouches de saphir.

 

Et, pour le rythme des phrases sacerdotales,

Ils écoutent la voix secrète des Esprits,

Évoqués à l’appel du sistre et des crotales.

 

Mais voici qu’apparaît à leurs regards surpris

Un astre, large et clair, au fond des plaines saintes,

Que les Livres sacrés ne leur ont point appris.

 

L’astre vous appelait, ô Mages, et vous vîntes,

Fuyant les tours de Suse et les champs de rosiers.

Un long frisson passait au long des térébinthes,

 

Et parmi les parfums, ô bois, vous reposiez,

Dans un apaisement pieux que rien ne viole !

Et les Mages marchaient vers l’astre, extasiés.

 

Des sycomores noirs et des cèdres s’envole

Un murmure discret de cantiques divins,

Comme un accord très doux de harpe et de viole.

 

Lentement se ployaient les palmes ; les ravins

Semblaient pleins de cailloux d’argent, sous les étoiles,

Et vous allez, cherchant dans la nuit, ô Devins,

 

Quelle Vierge, longtemps absente, ouvrant ses voiles,

Se révèle, siégeant dans un monde idéal,

Ou quel vaisseau vogue en l’éther, à pleines voiles ;

 

Quel dieu, dominateur d’Istar, de Bélial,

Se montre aux prêtres, loin du murmure profane,

Manifesté dans un éclat impérial.

 

Vous suivez le chemin nocturne, en caravane,

Pèlerins jamais las, assurés, triomphants,

Passant les sables d’or, grains stériles que vanne

 

Le pas de vos chameaux et de vos éléphants.

O Rois Mages, sous vos longues chapes fleuries,

Vous avez enchanté nos beaux Noëls d’enfants.

 

Et dans l’encens subtil des lis, vos théories

Ont répandu pour nous le cinname et l’anis,

Et vos urnes encor ne se sont point taries.

 

Nous jetons comme vous les regards aux zéniths ;

Nous voudrions trouver, ô Mages de Khaldée,

Vos firmaments qu’aucun orage n’a ternis,

 

Et voir d’un doigt aimé notre marche guidée.

 

 

 

Gustave SOULIER.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1893.

 

 

 

 

 

 

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