La sagesse divine

 

 

… Et dans l’esprit, ils voient choses si admirables,

Qu’il sont ravis et soulevés en une extase,

Entendent des accords célestes, et des chants

D’hosannahs, dont s’emplit le ciel retentissant,

Et sentent au fond d’eux tant de joie et plaisir,

Qu’ils en oublient tous les soucis de cette terre,

Et plus ne pensent qu’à tout ce qui s’offre à eux.

 

Et peur eux, désormais, nul sentiment charnel

Ne subsiste, ni vaine et terrestre pensée :

Mais tout ce qui naguère était doux semble offense,

Et tout ce qui plaisait paraît faire souffrir.

Leur bien-être, leur joie, leur désir et leur gain

Sont attachés à ce que maintenant ils voient,

Toute autre image étant seulement ombre vaine.

 

Et cet astre du Beau, qui enflammait jadis

Le cœur humain d’un feu se consumant lui-même,

Désormais semble vil, entaché de péché ;

Et cette pompe, à quoi les orgueilleux aspirent

Et qu’ils nomment honneur, et qu’ils désirent tant,

Leur semble honteuse ; et toute richesse est clinquant,

Toute gaieté tristesse, et tout lucre misère.

 

Si pleins sont leurs regards de cette vue splendide,

Et leurs sens chargés de telle réplétion,

Qu’ils ne sauraient se plaire à rien d’autre sur terre

Qu’à contempler l’aspect d’une félicité

Dont l’image est gravée aux yeux de leur esprit ;

Ils s’en repaissent ; et leur pensée qui s’y attache

Découvre joie heureuse et plein contentement.

 

Adonc, mon âme avide, et trop longtemps nourrie

Des vains caprices de ton irréflexion,

Qui, séduite à l’appât d’une fausse beauté,

As suivi des reflets vides et décevants,

Qui se sont dissipés, ne te laissant rien d’autre

Qu’un tardif repentir, le fruit de ta folie,

Ah, ne regarde plus ce qui doit t’affliger.

 

Élève enfin tes yeux vers ce foyer suprême

Aux purs rayons, d’où sort toute beauté parfaite,

Qui allume l’amour en chaque âme dévote,

Mais un amour divin, inspirant le dégoût

De ce vil univers, et de ces gais dehors ;

Et qu’ainsi possédé de ces plaisirs suaves

Ton esprit vagabond se fixe pour jamais.

 

 

 

Edmund SPENSER, Hymne à la beauté céleste, 1596.

 

Traduit par Louis Cazamian.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net